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frappé de son extrême rareté chez les marins et chez les pêcheurs de nos côtes, qui vivent en face de la mer et de ses grands horizons, et dont la vue s’exerce sans cesse à reconnaître les navires qui passent au large. »

La myopie scolaire résulte de l’effort d’adaptation que nécessite la vision à courte distance, lorsqu’elle s’applique à de petits caractères, à des lignes déliées, dont l’œil s’approche de plus en plus pour les mieux distinguer, surtout lorsque cet exercice se prolonge pendant de longues heures. L’exécution des épures, dans les classes de hautes mathématiques, est signalée, par les oculistes, comme particulièrement fatale à la vue. Elle devient plus dangereuse encore lorsque l’élève s’y livre dans des salles mal éclairées ou à la lumière artificielle. Rien ne vient compenser l’influence fâcheuse de ces exercices, puisque les écoliers n’ont jamais d’autre horizon que les murs des classes ou ceux des cours, dans lesquelles ils passent leurs trop courtes récréations.

La myopie est devenue tellement commune qu’on n’en fait plus de cas. Il n’est pas d’infirmité dont on prenne plus facilement son parti. On croit en être quitte en se servant de verres concaves. On oublie que la myopie est souvent le point de départ de troubles plus graves de la vision et qu’elle provoque souvent la formation de staphylômes postérieurs irrémédiables.

L’indifférence avec laquelle on traite cette demi-cécité est telle qu’on a renoncé à en faire un motif d’exclusion pour les carrières où l’intégrité de la vue est indispensable. Les règlemens qui interdisait l’entrée des myopes dans la marine sont presque tombés en désuétude, et pourtant, s’il est une profession qui exige impérieusement une acuité visuelle de premier ordre, c’est bien celle de l’officier de marine, puisque la vie des hommes et la sécurité du navire dépendent de la justesse de son coup d’œil. Il suffit d’une erreur d’appréciation pour causer un de ces terribles abordages qui se multiplient aujourd’hui d’une façon si désastreuse. Au temps de la marine à voiles, ils étaient moins fréquens et moins graves. La vitesse des navires était beaucoup moindre ; ils ne pouvaient jamais courir à contre-bord, et la grande surface de leur voiture permettait de les apercevoir de loin. Aujourd’hui, maîtres de leur vitesse comme de leur direction, ras sur l’eau, marchant toujours droit au but, ils se croisent, avec la rapidité de l’éclair, sur ces grandes routes de la mer que l’expérience a tracées et qui n’ont que quelques lieues de large. Il suffit de se tromper sur la couleur d’un feu, sur la distance d’un navire qui vient sur vous, pour causer un de ces irréparables malheurs. Et ce sont souvent des myopes, quelquefois des daltoniens, qui sont chargés de conduire ces immenses navires, dans la nuit et dans la brume, à travers la pluie