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faits par des hommes spéciaux. Comment s’étonner de ce que rien de ce qu’ils professent ne leur paraisse inutile[1]? » Nos programmes ont été rédigés en vue des intelligences d’élite et d’après le maximum de travail qu’elles peuvent fournir. On n’a pas pris souci des autres. En Angleterre, en Allemagne, on prépare les enfans pour les luttes de la vie; nous préparons les nôtres pour les examens. Notre système d’éducation n’est propre qu’à faire des bacheliers. Il est temps d’en finir avec cette instruction de catalogue qui effleure tout et n’approfondit rien, et qui, comme le dit M. Jules Simon, déshabitue les enfans de penser, en les tenant, pendant dix ans, occupés à écouter, à copier et à réciter[2].

S’il appartient à l’hygiène de fixer le nombre d’heures de travail que peut fournir le cerveau d’un enfant, ce n’est pas à elle à en régler l’emploi. C’est l’affaire des maîtres de l’enseignement. Toutefois, il est un certain nombre de choses que le bon sens apprend à tout le monde et sur lesquelles on se met aisément d’accord, quand on n’a pas l’esprit voilé par les idées préconçues et les habitudes invétérées. La première de toutes, c’est l’obligation de réduire à un strict minimum la somme des connaissances qu’il faut imposer à tout le monde et sans lesquelles on n’est plus qu’un paria dans les sociétés modernes. On n’a pas besoin, pour remplir ses devoirs de bon citoyen, de savoir tout ce qu’on enseigne dans les écoles primaires. Il n’est pas nécessaire que les enfans qui en sortent soient de première force en grammaire, en histoire, en géographie et en arithmétique. On dirait que les programmes de cet enseignement ont été faits pour former des instituteurs, de même que ceux de l’enseignement secondaire semblent avoir été rédigés en vue de faire entrer tous les élèves à l’École normale.

Pour ma part, je bornerais volontiers l’instruction élémentaire aux points suivans : montrer à tous les enfans à lire et à écrire ; leur enseigner les élémens de la grammaire, les quatre règles de l’arithmétique, et leur faire apprendre par cœur un petit manuel comprenant, sous forme d’aphorismes, les connaissances usuelles qui sont indispensables à la conduite de la vie. On les mettrait ainsi à même de travailler seuls et de compléter peu à peu leur instruction, à mesure que le besoin s’en ferait sentir.

A partir de cette base commune, il faut, à mon avis, que l’éducation se spécialise. C’est une nécessité qui résulte du progrès même des connaissances. Plus elles se développent et plus ceux qui les cultivent sentent le besoin de se limiter. Les savans eux-mêmes ne

  1. Gréard, Rapports sur l’enseignement secondaire, (Journal de la société de statistique de Paris, 1880.)
  2. Jules Simon, la Réforme de l’enseignement secondaire. Paris, 1874.