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personne que l’alliance dût survivre à la cessation de l’objet qui l’avait fait naître. C’était donc son œuvre si laborieusement élevée qui s’écroulait en quelque sorte sur sa tête ; le sol, en même temps, lui manquait sous les pas. Il se rendait compte, en effet (nous le savons par son propre aveu), du discrédit où était tombée en Bavière l’alliance française, et du désir ardent qu’éprouvait le pays tout entier, aussi bien la cour que le peuple, de se réconcilier, à quelque prix que ce fût, avec l’Autriche. Il lisait ce sentiment dans tous les regards, et, s’il eût été assez peu clairvoyant pour ne pas s’en apercevoir, une démarche éclatante, faite par le personnage de qui, peut-être, on devait le moins attendre une initiative pacifique, aurait suffi pour lui dessiller les yeux. Dès le lendemain même de la mort de l’empereur, c’était le commandant en chef des troupes impériales, le général Seckendorf, qui venait déposer son épée entre les mains du nouvel électeur, en déclarant qu’il ne pouvait plus porter les armes contre ses concitoyens, du moment qu’il s’agissait non de défendre l’empire contre des sujets rebelles, mais de commencer et de continuer une guerre civile[1].

Chavigny, homme de ressource et d’énergie, ne perdit pourtant pas contenance. Il sut user discrètement de l’autorité que lui donnaient sur le jeune prince sa réputation d’habileté, l’affection que le défunt lui avait témoignée jusqu’à la dernière heure, et le plaisir que la faiblesse et l’inexpérience éprouvent toujours à entendre une parole encourageante : — « Jetez-vous, lui dit-il avec plus de confiance qu’il n’en éprouvait peut-être lui-même au fond de l’âme, dans les bras du roi de France ; c’est lui qui va vous tenir lieu de père. » — Puis, devinant qu’il devait en coûter à l’orgueil d’un jeune homme qui avait grandi sur les marches du trône impérial d’être obligé à en descendre, il sut, sans lui faire aucune promesse précise, lui insinuer adroitement qu’on avait vu plus d’une fois dans l’histoire la vertu et le courage suppléer au nombre des années ; pour peu qu’il sût se conduire en homme et en prince, paraître à la tête de son armée, marcher avec elle au combat et peut-être à la victoire, aucune ambition, lui fit-il entendre, ne lui serait interdite. En attendant, pour lui faire adopter tout de suite une attitude décisive, il l’engagea à prendre, non pas le titre royal, qui aurait pu donner lieu à des difficultés d’étiquette avec les cours neutres ou même alliées, mais celui d’archiduc d’Autriche, tout aussi provoquant pour Marie-Thérèse. Ému par ses conseils et écrivant presque sous sa dictée, Maximilien se décida à adresser à Louis XV une lettre d’une tendresse filiale et presque enfantine. — « Ce jeune homme est une cire molle, disait en envoyant l’épître Chavigny, qui croyait

  1. Graf Seckendorf und der Friede von Fuessen. — Gotha, 1882, p. 43.