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cultivateur, à conduire les chevaux d’une charrue ; on le maltraite, il reprend sa route, passe par Guise et Reims, où il ne peut se décider à rester, parce que ce qu’il voit dans la maison paternelle lui cause un insurmontable dégoût. Il revient à Paris ; il est immédiatement arrêté, traduit en police correctionnelle sous l’inculpation de vagabondage et envoyé à la Petite-Roquette. Lorsque M. Charles Robert l’y vit, on allait le diriger sur la colonie agricole de Lamothe-Beuvron. Si cet enfant n’a pas été préservé du mal, s’il n’a pas développé ses qualités d’intelligence et de probité qui sont remarquables, — car pendant toutes ses pérégrinations on n’a pas un acte d’indélicatesse à lui reprocher, — si on ne l’a pas mis à même de pourvoir honnêtement à ses besoins, il ne faut en accuser que l’indifférence ou les mauvaises méthodes de ceux qui auront en charge de son salut. Dans la tribu du jeune vagabondage de Paris, de pareils enfans ne sont point rares ; la Petite-Roquette les perd à jamais, les écoles industrielles peuvent les sauver à toujours.

Les deux autres catégories, les passifs et les incapables, offrent naturellement une force de résistance contre laquelle les efforts les meilleurs viennent trop souvent se briser. Les premiers sont dénués de volonté ; comme des girouettes ils tournent à tous les vents ; les bonnes résolutions ne leur manquent pas, mais elles ne sont point de contexture solide, elles semblent se désagréger d’elles-mêmes et ne résistent ni à un conseil perfide ni à une mauvaise incitation. Ces êtres-là sont à plaindre ; ils ne sont point méchans, mais leur faiblesse les rend malfaisans ; ils sont le bouc émissaire de tous les mauvais tours auxquels s’ingénient les polissons ; on les met en avant, quitte à les lâcher à l’heure du péril et à les charger outrageusement lorsque le commissaire de police intervient. J’ai connu plus d’un détenu de cette espèce : ils font pitié, car les étapes de leur vie sont marquées d’avance dans les geôles et dans les cabanons. La veille de leur mise en liberté, ils pleurent de repentir, ils jurent que jamais ils ne retomberont en faute ; ils sont sincères, mais on les connaît. Lorsqu’ils quittent la prison, ils disent adieu aux surveillans, qui leur répondent : « Au revoir. » En effet, deux jours après on les ramène ; ils ont commis un nouveau délit. Si on le leur reproche, ils disent : « Je ne sais pas comment ça s’est fait ; » et ne mentent pas. Rien, ni soin, ni morale, ni aide matérielle, ni bons conseils, ni sévérité, ni indulgence, ne leur donnera ce qui leur manque : la volonté, sans quoi l’homme reste impuissant vis-à-vis des autres et vis-à-vis de soi-même. Quant aux, derniers, aux incapables, ils ont une cervelle atrophiée qui reste impénétrable au raisonnement ; à tout ce qu’on leur dit, ils répondent avec douceur : « Oui, monsieur, » et n’ont rien compris. Ceux-là