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réduits à l’impuissance quand il ne se rencontrait rien dans son champ de tir[1]. » On a souvent cité l’exemple de Fontenoy, où la colonne du duc de Cumberland, s’étant portée sur un point de la ligne française qui se trouvait dégarnie de canons, était, sur le point de la forcer, quand un jeune officier du régiment de Touraine émit timidement l’avis qu’on pourrait bien faire avancer quatre petites pièces de 4 qui se trouvaient à quelque distance de là. Richelieu n’y avait pas songé ! Il eut du moins, le propos lui ayant été rapporté, l’esprit de s’emparer de l’idée, et c’est ainsi que la bataille, au lieu de se terminer par une déroute, finit par le plus brillant succès de l’époque. Voilà où en était encore à Fontenoy l’artillerie française ! et cependant Vallière avait déjà passé par là.

L’œuvre du premier colonel inspecteur de Royal-Artillerie n’est guère connue que des spécialistes, et c’est à peine si l’on trouve son nom dans les histoires générales[2]. Entre Vauban et Gribeauval, ces deux grandes figures, il disparaît presque. Vallière eut pourtant un rare mérite : dans un temps où la routine était toute-puissante, il sut, jusqu’à un certain point, rompre avec elle ; il simplifia le matériel, et le rendit à la fois plus roulant et plus facile à servir.

Avant lui, les types de bouches à feu réglementaires étaient très variables. Il les réduisit à cinq, tous plus courts, plus légers, et par conséquent plus maniables que les anciens[3], il sut en déterminer les épaisseurs et les dimensions avec tant de précision que a ces élémens sont restés les mêmes pour les pièces de siège jusqu’au moment où les canons rayés sont venus remplacer les canons à âme lisse[4]. » C’est à son administration qu’il faut aussi rapporter la création des écoles d’artillerie et l’établissement d’examens d’entrée au corps et de passage du grade de lieutenant à celui de capitaine en second : excellentes innovations, et qui dans la suite ne contribuèrent pas peu à la formation d’un personnel d’élite.

Le système de Vallière dura plus de trente ans, autant que les Vallière père et fils, et les perfectionnemens dont l’artillerie leur fut redevable avaient déjà singulièrement agrandi le rôle de l’arme sur les champs de bataille. A Dettingen, sous la direction de Vallière lui-même, elle avait failli donner la victoire au maréchal de Noailles ; à

  1. Susane, Histoire de l’artillerie française.
  2. Seul peut-être en dehors des écrivains militaires, Voltaire lui a rendu justice : « Vallière, dit-il, qui avait poussé le service de l’artillerie aussi loin qu’il peut aller. » (Siècle de Louis XV.)
  3. Ordonnance du 7 octobre 1732.
  4. Favé.