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comme des fripons[1] qui tiraient sur sa caisse, soit qu’il s’agit de constructions, soit qu’il s’agit d’un siège. »

Toujours est-il pourtant que Frédéric II aimait encore mieux s’adresser aux nôtres qu’aux siens, qui, avec moins de talens, l’eussent sans doute volé tout autant. « On assure, dit encore Mirabeau, qu’il n’est pas une seule des forteresses construites par les ingénieurs prussiens qui n’ait des défauts frappans. La seule partie où ils sont remarquables, c’est la fortification de campagne. Dans la défense des places, ils n’ont montré aucun art. Schweidnitz et Breslau furent pris très lestement en 1758, la première par escalade. Dresde fut défendue avec plus d’opiniâtreté, mais sans rien d’extraordinaire ; la défense de Torgau fut beaucoup plus vaillante ; mats le génie n’y eut aucune part, non plus qu’à celle de Colberg, où il n’y avait pas un ingénieur dans la place. Quant aux sièges que les Prussiens ont exécutés, deux seulement sont dignes de mémoire par leur importance : celui d’Olmütz, en 1758, et celui de Schweidnitz, en 1762. Le corps du génie montra dans tous les deux une grande inhabileté[2]. Le premier avait été dirigé par M. de Bolby, colonel au service de Prusse, qui jouissait d’une grande réputation. Cet officier y commit des fautes grossières, établissant ses batteries à 400 ou 500 toises de la place, chargeant ses pièces aux deux tiers du poids du boulet, et brisant ainsi ses mortiers. A Schweidnitz, les opérations furent plus mal conduites encore. On mit deux mois à exécuter quatre globes de compression qui devaient faire sauter les remparts. Ils n’emportèrent pas seulement la crête du chemin couvert ; et, sans une bombe qui fit sauter le magasin à poudre, la place eût encore tenu fort longtemps. »

Telle était encore, après toutes les prouesses accomplies par le génie français depuis un siècle, l’ignorance du génie prussien, et ce fut seulement à la veille de la révolution qu’il reçut, non de Frédéric II, mais de son successeur, une organisation un peu plus régulière. Frédéric-Guillaume II n’avait pas hérité de l’aversion de son prédécesseur pour l’arme, et l’un de ses premiers soins, une fois le maître, avait été de congédier les étrangers et de fonder à

  1. Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort en ce qui concerne les ingénieurs français qui s’expatriaient. Dans le nombre, il y avait beaucoup d’aventuriers comme ce Lefebvre, qui, pour échapper à une condamnation honteuse, ayant été pris la main dans le sar, dut se faire sauter la cervelle.
  2. C’était aussi l’avis de Guibert. Lorsqu’il visita Olmütz, en 1773, il obtint du major autrichien commandant l’autorisation de visiter la place. « Dominée, dit-il, et attaquable par la porte de Vienne. C’est là qu’elle le fut par le roi de Prusse, mais mal, mollement et sans intelligence, comme lui et ses troupes attaquent toutes les places… Le roi de Prusse resta devant elle inutilement pendant plus de six semaines, et il n’était pas au chemin couvert quand il leva le siège. »