Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Edfou, devant laquelle agonisent les victimes de cette expérience, dans un éloignement discret, forme, en contre-bas, un agréable fond de décor fuyant. L’archéologie égyptienne ne sert là qu’à donner un attrait plus piquant à une belle femme assise, au premier plan, sur un divan, dans un luxueux costume, la gorge et les bras nus, tenant des fleurs de lotus à la main, près d’une esclave qui porte un éventail. M. Cabanel a tiré bon parti de tous les détails brillans fournis par les musées pour ressusciter une Égyptienne en grand apparat avec l’aisance d’un artiste consommé, sans effort comme sans pédantisme. C’est vraiment plaisir, par le temps qui court, de trouver encore un homme qui pose une figure avec soin, qui l’ajuste avec attention, qui exécute les draperies avec souplesse et les nus avec précision, qui donne à chaque chose, dans un tableau, sa valeur plastique et son intérêt décoratif. Il n’est pas certain que cette Cléopâtre, malgré la fixité de son regard noir, soit une femme bien cruelle, non plus que la panthère inoffensive qui rêve à ses pieds, M. Cabanel n’étant point le peintre ordinaire des meurtriers ni des fauves, mais c’est assurément une fort belle femme ; malgré les déclamations réalistes, n’est-ce pas quelque chose ?

Conventions pour conventions, celles qui élèvent l’art valent mieux que celles qui l’abaissent. S’en tenir à l’imitation de modèles réels pour représenter des personnages légendaires ou historiques est une convention aussi, flagrante que de leur imposer invariablement des physionomies et des vêtemens d’une noblesse imaginaire ; c’est seulement une convention plus grossière et d’un usage plus facile. C’est en vain qu’on s’autorise des Flamands, des Hollandais, des Vénitiens, gens naïfs, on le sait, qui ne se gênaient point, même en des époques de culture avancée, pour affubler à la mode du jour les plus vénérables personnages de l’antiquité profane ou sacrée. Il est facile de répondre que la naïveté du moyen âge n’est plus notre fait, que la fausse naïveté est une hypocrisie ridicule, qu’au XVIIe siècle même ce système ne passait pas pour excellent, qu’enfin Paul Véronèse et Rembrandt, tous ceux qu’on cite, ne se sont fait pardonner qu’à force de génie dans l’exécution, génie de virtuose chez le premier, génie de rêveur chez le second. Encore doit-on remarquer, pour Rembrandt, qu’en introduisant les juifs de la synagogue d’Amsterdam dans ses scènes bibliques et évangéliques, il recherchait justement la couleur historique et locale négligée par ses devanciers, et que, s’il plaçait son Christ, toujours vêtu de sa tunique blanche, au milieu des loqueteux et des infirmes de l’hospice voisin, c’était le Christ idéal des paraboles, le Christ remplissant son rôle d’intercesseur. La continuité d’action attribuée