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dans une prison et substituant, en peu d’années, une sorte de paradis terrestre à l’enfer du plus odieux pénitentiaire qui fût jamais.

On sait qu’avant d’être ce qu’elle est, une ville riche et prospère complant plus de 200,000 habitans, Sydney débuta par être le grand exutoire de l’Angleterre, le lieu d’internement des convicts. Le nombre de ces déportés s’accrut rapidement, mais


Ainsi que la vertu le vice a ses degrés.


Parmi ces malfaiteurs, que l’Angleterre expédiait aux extrémités du monde, se trouvaient des criminels tellement endurcis et corrompus qu’aucune discipline, même la plus rigoureuse, n’avait prise sur eux. Ils tuaient pour tuer ou se faire tuer, ils assassinaient leurs gardiens et suscitaient parmi leurs compagnons de misère des révoltes terribles. Pour en avoir raison, le gouverneur Philipps fit transporter les plus dangereux à l’Ile Norfolk. Là, courbés sous le fouet de geôliers impitoyables, fusillés à la première menace, à peine nourris, on les employa aux travaux les plus rudes ; ils durent construire leur propre prison et les casernes de la garnison. Traités comme des bêtes de somme, punis pour le moindre délit avec une rigueur implacable, ils vivaient peu de temps, mais de nouveaux envois comblaient les vides. La menace d’être envoyés au pénitentiaire de Norfolk terrorisait à Sydney les plus récalcitans : ils savaient qu’on n’en revenait jamais ; pour eux, c’était l’enfer avec toutes ses horreurs. On se racontait en frémissant qu’exaspérés par les mauvais traitemens qu’ils subissaient, à bout de forces et sans espoir, les convicts de Norfolk tiraient entre eux au sort à qui tuerait son compagnon de chaîne, l’assassin se poignardant ensuite auprès de sa victime.

L’Angleterre a la main lourde et cruelle. Ce régime de compression farouche et de répression sans merci ne régnait pas seulement alors dans ses pénitentiaires, mais jusque dans son armée, soumise aux châtimens corporels, et abord de ses navires, où le capitaine, maître après Dieu, se livrait à tous les excès d’une nature brutale, surexcitée par le sentiment du pouvoir absolu. Insultés, frappés, mis aux fers, privés de nourriture, souvent pour le plus léger délit, les équipages se soulevaient parfois, affolés par la tyrannie, et peuplaient de déserteurs les îles de la Polynésie Assurés d’être pendus s’ils étaient repris, ils préféraient une existence misérable et précaire au milieu des indigènes à la certitude du sort qui les attendait.

Ainsi raisonnèrent les marins du bâtiment de guerre Bounty, quand, après leur révolte, ils se virent maîtres du navire et de leur capitaine Bligh, dont les violences et les mauvais traitemens avaient épuisé leur résignation. Ils se sentirent perdus et n’eurent plus qu’une pensée : disparaître. Mais où se cacher, si ce n’était parmi