Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son génie et la gloire qu’il a jetée sur le nom prussien. Au même moment, l’Allemagne ressentit l’orgueil de posséder une Prusse, et, dans le profond abaissement politique où elle était tombée, elle aperçut comme une aurore des temps nouveaux.

De quel droit une puissance quelconque se lèverait-elle en Prusse pour contester au roi la propriété de la chose qu’ont faite ses ancêtres? Ces événemens se sont-ils donc accomplis dans la nuit des temps? Mais il n’y a pas deux cents ans que le premier roi de Prusse a été couronné : il y a cent quatre-vingt-six ans, c’est-à-dire deux fois la vie du roi d’aujourd’hui, qui est né neuf ans après la mort de Frédéric. Sans doute, de grandes perturbations ont été apportées dans le monde par la révolution française. La théorie des droits de l’homme a cheminé derrière nos armées et elle est entrée avec elles dans toutes les capitales. La machine de l’état prussien, un moment brisée, a été refaite après 1807, avec le concours du peuple prussien et du peuple allemand, et il a bien fallu payer leur part de peines à ces collaborateurs. Tout roi de Prusse se pique d’ailleurs d’être un homme éclairé. C’est une de ses manières d’être que de savoir se plier aux nécessités de la vie moderne. Il a toujours voulu faire une autre figure que le Habsbourg de Vienne, endormi dans la tranquillité d’un despotisme traditionnel. Bien qu’il n’aime guère l’esprit nouveau, il a entretenu un commerce de coquetteries avec lui, mais il ne s’y est pas compromis sans retour et n’est pas allé jusqu’aux épousailles. Frédéric-Guillaume IV, lorsqu’il a consenti à donner une constitution à son peuple, a trouvé cette jolie formule : un peuple libre sous un roi libre. Qu’entendait-il par la liberté du roi? Son successeur, le roi Guillaume, l’a montré dès son avènement, pendant la grande crise constitutionnelle qui s’est terminée au lendemain de Sadowa. Le roi de Prusse veut demeurer libre de faire son office de roi de Prusse, de garder et de fortifier l’état fondé par ses ancêtres, de l’étendre comme ils ont fait, pour cela d’organiser son armée comme il lui plaît, de l’accroître, de prélever sur le pays le tribut nécessaire. Que si la constitution accorde à des chambres le droit de voter l’impôt chaque année, et, par conséquent, de le refuser, la constitution se trompe, ou plutôt le peuple en interprète mal l’esprit, car elle n’a pu subordonner la liberté du roi à la liberté du peuple. A la vérité, ces deux personnes, le roi et le peuple, dont les relations sont nombreuses et compliquées, ne peuvent être aussi libres l’une que l’autre sans entrer par momens en conflit ; mais la liberté du roi consiste précisément en ceci, qu’il a seul qualité pour résoudre ce conflit. Ainsi a fait le roi Guillaume, et l’événement lui a donné raison. Ses ancêtres avaient acquis le territoire de l’état prussien avant que fût ne le peuple de Prusse ;