Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de s’épuiser dans une rivalité stérile à propos d’une question mal engagée, feraient beaucoup mieux sans doute de s’entendre franchement, de réunir leurs efforts pour la sauvegarde des intérêts communs et de la paix du monde.

Un événement qui ne peut pas peut-être avoir une influence décisive sur la direction générale des affaires diplomatiques à Vienne, qui a pourtant son importance et sa signification, s’est accompli ces jours derniers en Autriche. La Hongrie, cette seconde partie de l’empire, vient d’avoir ses élections pour le renouvellement de sa chambre des députés, et l’agitation qui a préludé à l’ouverture du scrutin populaire n’a pas laissé d’être vive, passionnée, même tumultueuse sur certains points du royaume. L’homme habile qui dirige depuis longtemps le cabinet de Pesth, et qui récemment encore ajoutait à la présidence du conseil le ministère des finances, M. Koloman Tisza, à vrai dire, abordait l’épreuve électorale avec tous les avantages d’une longue possession du pouvoir, d’un ascendant reconnu. La question pour lui était moins de retrouver la majorité qu’il avait dans la dernière chambre que d’obtenir, avec une majorité accrue et fortifiée, un appui plus solide pour la politique libérale et modérée dont il est le représentant aux affaires. C’est ce qui est arrivé en effet ; le résultat du scrutin a peut-être même dépassé ce qu’on attendait, et a été une victoire complète pour le ministère, qui dispose aujourd’hui d’une majorité considérable, près de 280 voix sur 413 députés. L’opposition modérée, dont le chef est le comte Albert Apponyi, a essuyé, pour sa part, d’assez sensibles échecs. L’extrême gauche, qui représente jusqu’à un certain point dans le parlement hongrois les idées et les traditions de Kossuth, a gardé à peu près ses positions, sans être d’ailleurs un danger pour le cabinet. Le parti le plus turbulent, le plus violent, le parti antisémite, c’est beaucoup remué pour obtenir moins de vingt élections et, déçu dans ses prétentions, il s’est vengé en provoquant les plus étranges excès dans quelques districts, notamment à Duna-Szerdahely, en ameutant la populace contre les juifs, dont les maisons ont été incendiées. Les antisémites n’ont eu que ce genre du succès ; la vraie victoire des élections est pour le gouvernement et pour son chef, M. Koloman Tisza, qui puise dans cette heureuse campagne une force nouvelle pour entreprendre avant tout le rétablissement des finances de la Hongrie. C’est là vraisemblablement la première de ses préoccupations, et son succès ne peut qu’être une garantie de plus pour la politique qui, en maintenant l’accord entre les deux parties de l’empire, fortifie l’autorité du cabinet de Vienne dans les affaires du monde.

CH. DE MAZADE.