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la retenue, où sont les jeunes filles âgées de quatorze à vingt et un ans.

La retenue : le mot est heureusement trouvé ; ce n’est pas une prison, ce n’est pas non plus une école industrielle analogue à celle que nous avons vue dans la rue Clavel, et cependant cet « institut, » comme dirait un Allemand, participe de l’une et de l’autre ; car on n’y est admis qu’en vertu d’une ordonnance du président du tribunal ou d’un jugement, et l’on y est astreint à un travail non rétribué. Je n’ose pas dire que c’est une annexe de la correction paternelle de Saint-Lazare, puisque l’on y obtient des succès qui n’ont même pas été entrevus à la maison de détention pour les femmes ; et cependant le personnel s’en recrute sur le même fumier social. Les jeunes détenues sont de mêmes catégories, de mêmes vices, de même honte ; seuls les procédés de relèvement ne se ressemblent pas, et cela constitue une différence essentielle. De telles œuvres ne peuvent être appréciées que par les résultats ; à Saint-Lazare, ils sont nuls, pour ne pas dire douloureux ; à la maison de Reuilly, ils ne manquent pas d’importance, ils seraient certainement plus considérables si l’on avait affaire à des sujets plus jeunes, par conséquent plus malléables et que les habitudes pernicieuses n’auraient encore qu’effleurés. L’éducation est une lutte permanente contre la nature ; elle doit être entreprise de bonne heure, dès que l’enfance est apte à comprendre. Du petit animal humain qui vient d’entrer dans le monde où il aura son personnage à jouer, quel qu’il soit, elle doit faire un être destiné à vivre en société ; elle aura à lui enseigner les conventions dont il est nécessaire que les instincts naturels soient revêtus pour ne point tomber dans les excès de la vie sauvage ; et ceci ne s’obtient pas en peu de temps, car, dans les groupes civilisés, les formes extérieures des relations, les coutumes, les idées même sont le fruit des leçons souvent répétées qui finissent par policer l’homme et lui permettent de coexister à ses semblables. Si l’on revenait à cet état de nature que la démence de Jean-Jacques Rousseau avait entrevu à travers les rêveries d’un idéal absurde, le vol, le meurtre et le reste régneraient ici-bas, comme aux jours de l’âge de pierre. C’est une longue expérience qui a appris à l’humanité qu’elle ne pouvait se développer qu’à la condition de se garder contre elle-même par les restrictions qu’elle s’impose et qui forment le code des lois où elle a trouvé son salut. Or presque toutes les jeunes filles de la retenue ignorent ces restrictions dont personne ne leur a parlé, et elles n’ont, jusqu’à présent, obéi qu’à leurs instincts primordiaux, c’est-à-dire à la perversité. Pour elles, l’effort doit redoubler, mais cet effort serait moindre si, avant d’entrer à la retenue, elles avaient passé par le disciplinaire.