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on a compris qu’un tel régime serait difficilement introduit dans un pays où l’argent entrerait pour une part largement prépondérante dans la circulation, et je n’oserais pas le conseiller chez nous, si la France avait le malheur de posséder les 3 milliards d’argent blanc dont les statisticiens l’ont si généreusement gratifiée. Je ne crois pas que les recherches et les supputations développées plus haut puissent être sérieusement contestées; il en résulte qu’après la rentrée en France des écus répandus à l’étranger, l’ensemble des pièces de 5 francs en argent à l’effigie française fournira probablement un total ne dépassant pas de beaucoup 1,300 millions de francs; il n’y a pas à tenir compte des millions de pièces belges ou italiennes, destinées à disparaître dans une liquidation plus ou moins onéreuse. 1,300 millions, c’est une somme un peu forte peut-être pour la réforme dont il s’agit, pas assez pour lui faire obstacle ; cette somme correspond à 31 francs par tête d’habitant, la population de la France, avec ses colonies organisées, donnant un chiffre d’environ 42 millions.

En Angleterre, l’expérience de l’étalon d’or est ancienne; la quantité d’argent circulant à l’état d’appoint est estimée à 500 ou 550 millions de francs. Il est à remarquer que depuis 1877, où la Monnaie de Paris et les autres pays de l’Union latine ont suspendu la frappe de l’argent, on en a monnayé plus que d’habitude en Angleterre. De 1875 à 1885, le Mint de Londres a versé dans le public, tant en couronnes qu’en monnaies divisionnaires, plus de 500 millions de francs pour la métropole seulement[1]. Il était intéressant de savoir si la limitation du cours légal pour les pièces d’appoint devenait une cause d’embarras dans les transactions courantes et si elle exerçait une influence sur les prix du petit commerce. Je me suis permis de consulter un homme qui, avec une importante situation à Londres dans le monde financier, a la salutaire expérience du chef de famille. Je copie sa réponse : « On éprouve quelquefois un embarras à changer l’or en monnaie. La frappe de monnaie d’argent pourrait parfaitement être augmentée de 10 millions sterling, ce qui donnerait 20 francs par habitant. Le parement en argent n’a aucune influence sur les prix de marchandises ménagères. On paierait son épicier avec 100 francs d’argent monnayé sans modification de prix; mais habituellement on le paie en chèque. »

Ainsi, une existence de 750 millions de francs en argent ne paraîtrait pas surabondante pour la Grande-Bretagne, où la monnaie

  1. Les colonies anglaises exercent leur droit de monnayage en faisant le plus souvent frapper leurs monnaies à Londres pour leur compte.