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avaient été retenues à leur passage dans les caisses publiques, et on avait lieu de croire qu’une faible somme serait suffisante pour l’échange des piastres qui restaient en cours. La conversion devait être terminée pour la fin de l’année. Mais voilà que, dans les deux derniers mois, les piastres bourboniennes se présentent aux guichets du trésor en quantité tout à fait invraisemblable : on parlait de 30 millions pour décembre seulement. Même poids, même valeur métallique, identité à s’y méprendre, et cependant la plus grande partie de ces pièces étaient assurément fausses ; voilà le danger de la contrefaçon. La police italienne avait flairé une fabrication clandestine d’origine anglaise ; elle cherchait à Londres, lorsque parut à Malte une ordonnance du gouverneur défendant l’importation dans l’île des pièces de l’ancien royaume de Naples, et « des monnaies d’argent frappées en imitation de celles-ci. » Les faussaires étaient bien Anglais, mais ils travaillaient à Malte ; réveillés par l’ordonnance du gouverneur, ils s’empressèrent de plier bagage et de disparaître. Je ne sais quelle suite a été donnée à cette affaire.

La sécurité du public au sujet des contrefaçons possibles s’explique par cette sorte de somnolence naturelle aux gouvernemens, qui ne s’éveillent que quand un incident fait grand bruit autour d’eux. Un écart de valeur entre les deux métaux monétaires assez considérable pour tenter les contrefacteurs est un fait nouveau dans l’ordre économique : on n’y était pas préparé. On se dit que la perfection du monnayage dans les grands pays commerciaux rend en quelque sorte impossible une imitation assez parfaite pour tromper les yeux exercés ; on croit qu’il serait difficile d’introduire dans la circulation une somme assez forte pour que la fraude devînt lucrative, et qu’il y aurait danger pour les faussaires à l’essayer. Je voudrais pouvoir partager cette illusion. Les merveilles de la science et l’habileté industrielle sont trop vulgarisées aujourd’hui pour que des spéculateurs criminels ne trouvent pas des complices capables d’obtenir la reproduction parfaite des médailles. C’est une affaire d’outillage et de prix de revient, et ce qui eût été ruineux quand les oscillations entre l’or et l’argent ne marquaient que des différences de 2 à 3 pour 100 devient facile et séduisant avec des écarts de 30 pour 100. Ajoutons enfin que la promiscuité monétaire au sein de l’Union latine déroute la surveillance. Des pièces fabriquées frauduleusement à l’effigie de la Belgique purent être introduites, par les dépôts en banque ou les voies commerciales, en France, en Italie, en Suisse. Il est déjà bien difficile à un caissier de vérifier les pièces nationales : comment s’y reconnaître au milieu des types étrangers ?