François, esprit simple, peu brillant, peu actif, mais sensé, était le souverain le plus précieux pour un chancelier de cour et d’état, — il venait de recevoir définitivement ce titre, — qui savait se servir de son prince en le servant. M. de Metternich avait la réalité de l’influence et du crédit ; il en aimait aussi, quoi qu’il en dit, les apparences et ce qu’on peut appeler la représentation. Partout où il allait, partout où il s’arrêtait, dans ses voyages ou dans ses séjours, à Téplitz, à Carlsbad, à Gastein, ces éternelles hôtelleries de la diplomatie allemande, comme en Italie, il se voyait entouré de tous ceux qui avaient à lui demander un appui ou qui voulaient interroger le sphinx. Il se plaisait surtout, par intervalles, à se retrouver dans son beau domaine du Johannisberg, qui avait été autrefois la possession des évêques de Fulda, qui, sous l’empire, avait appartenu, je crois, au maréchal Kellermann, et qu’il avait reçu en don de l’empereur François depuis 1816. Il voyait se succéder les visiteurs, ministres, diplomates en voyage, notabilités, princes et même souverains, dans le vieux château aux terrasses pittoresques, du haut desquelles on avait sous les yeux vingt lieues du cours du Rhin, huit ou dix villes, une centaine de villages, toute une contrée où chaque site avait sa ruine, où chaque ruine avait son histoire. « Quelle vue, écrit-il un jour, quelle richesse de pays ! que de beautés innombrables pour tout homme qui ne connaît pas le Rheingau !.. Je suis ici non comme à la campagne, mais comme à un congrès. J’y ai eu hier le chancelier Hardenberg, le comte de Goltz, le comte de Buol, Wessenberg, Caraman, les comtes de Munster, Rechberg et Wintzingerode. J’ai avec moi Spiegel, Mercy, Langenau, Gentz... L’empereur a été frappé de la vue du Johannisberg, et le prince de Danemark trouve qu’en Danemark et même en Norvège il n’y a pas de site plus riant... » Le châtelain, en recevant ses hôtes, ne cessait pas d’être aux affaires et d’assurer son influence par sa diplomatie subtile.
Il pouvait, certes, passer pour le personnage le plus consulté de l’Europe. Il ne laissait pas d’être gonflé de ce rôle de « puissance morale » qu’il se décernait à lui-même dans l’intimité! A une importance réelle, M. de Metternich a toujours allié une vanité presque naïve et un peu puérile, qui a été un des traits distinctifs de son caractère. Il est resté persuadé jusqu’à son dernier jour que « l’erreur n’avait jamais approché de son esprit, » qu’il avait eu toujours raison. Il se flattait d’être l’homme le plus apte à « faire ce qui est bien et juste, et surtout au moment utile, le seul où les grandes choses peuvent se faire. » Il faisait volontiers la confession des fautes des autres, en ajoutant aussitôt pour son propre compte : « Mon âme ne conçoit rien d’étroit. Je suis toujours en-deçà et au-delà de ce