qui occupe la plupart des hommes d’affaires ; je coure un terrain infiniment plus grand qu’ils ne le voient ou ne le veulent voir… » Avec cette satisfaction de lui-même, il avait quelque dédain pour ceux de ses contemporains à qui il avait affaire ; il les trouvait assez médiocres, et, par un retour aussi singulier qu’imprévu, il ne pouvait se défendre quelquefois d’évoquer par la pensée les grandes choses auxquelles il avait été mêlé, même le prodigieux génie en face de qui il s’était si souvent rencontré. On aurait dit que ces souvenirs remplissaient encore son esprit. Il ne laissait pas passer les grands anniversaires sans un mot de commémoration qui n’avait rien d’offensant pour le glorieux vaincu. Il appelait Napoléon « l’homme du siècle, l’homme de Sainte-Hélène, » le « grand exilé. » Il écrit même un jour de 15 août, en rappelant les scènes d’autrefois : « c’est aujourd’hui la fête du grand exilé ; s’il était encore sur le trône et s’il n’y avait que lui au monde, je serais très heureux… » Il dit un autre jour, en déplorant le « pitoyable train » du monde : « A entendre parler les gens, on croit marcher entouré de géans ; à les suivre, on s’aperçoit bien vite qu’on ne tient que des fantômes. Le seul géant que le XVIIIe siècle ait produit n’est plus de ce monde. Tout ce qui s’agite aujourd’hui est d’une trempe misérable. Il est fort difficile de bien jouer avec de médiocres acteurs… » Il est clair qu’après Napoléon, qu’il avait vaincu, dont le souvenir hantait toujours sa pensée en flattant son orgueil, le chancelier d’Autriche se considérait comme le seul vrai représentant de l’ordre nouveau de 1815, et, ainsi qu’il le disait, comme une puissance « qui laisserait sentir du vide le jour où elle disparaîtrait… » — « Et pourtant, daignait-il ajouter, elle disparaîtra !… » C’était bien heureux qu’il en convînt !
L’ordre de 1815, pour M. de Metternich, c’était sans doute la paix intérieure des états par l’inviolabilité des droits traditionnels, par la solidarité des politiques conservatrices, par la haute police de la sainte-alliance sur tous les mouvemens révolutionnaires ; c’était aussi la paix extérieure entre les peuples par le respect des traités et des situations, par l’union des couronnes et des gouvernemens dans la défense des conditions générales du système européen. Il n’avait qu’un principe invariable, qu’il réduisait à « la conservation de toute chose légalement existante et à l’heureuse union des premières puissances sur ce principe… » M. de Metternich