des tourmens que leur a causés leur art et des mécomptes que la vie leur a apportés, nous fêtons ces malheureux, nous glorifions ces délaissés. Mais si nos préférences vont ainsi à ceux qui nous ressemblent le plus, elles ne doivent pas nous égarer jusqu’à nous rendre injustes pour des génies plus sereins et mieux équilibrés. A quoi sert d’ailleurs de sacrifier les uns aux autres des maîtres de cette taille, et ne vaut-il pas mieux, en nous haussant jusqu’à eux, nous efforcer de les comprendre tour à tour et de rechercher, avec les distinctions qu’il convient de faire pour chacun d’eux, la raison des admirations qu’ils méritent tous? Il serait vain de décider entre des formes d’art également dignes de vivre, et de restreindre ainsi, de parti pris, le nombre des délectations les plus nobles que nous puissions goûter.
Le succès du livre de M. Müntz est de nature à nous rassurer sur l’admiration que Raphaël excite toujours parmi nous. Mais peut-être, dans la partie du public qui serait cependant la mieux faite pour le comprendre, ne professe-t-on pas pour lui le même culte. Pourquoi ne pas le dire, il me semble que, parmi les artistes, il en est un trop grand nombre qui ne le goûtent guère, ou qui, sans bien le connaître, le condamnent. Parce que son art est contenu, tandis que le nôtre est excessif; parce qu’on ne trouve pas chez lui quelque qualité poussée à l’extrême, — une qualité maîtresse, comme on dit, — qui se fait sa part aux dépens des autres, et que cet accord de tant de sûres qualités qu’il nous montre serait pour nous comme un reproche; parce qu’il est savant, alors que l’ignorance est aujourd’hui trop souvent considérée comme une force et un gage de liberté, on se détourne de lui. A côté de quelques-uns, qui lui sont restés fidèles, la plupart ne témoignent à son égard qu’une indifférence plus cruelle encore que le dénigrement. Comme il arrive pour ceux que la faveur délaisse, on ajoute aux griefs qu’on pourrait avoir contre lui des torts exagérés ou imaginaires. A en croire ses détracteurs, c’est lui qui aurait ouvert la voie à cet art officiel, fait uniquement de virtuosité et de recettes, qui, au lieu de se renouveler, s’attarde à des formes banales et convenues, lieux-communs de la rhétorique pittoresque, et qui poursuit, au milieu de l’inattention générale, le cours de ses allégories fades ou pompeuses, mais toujours insignifiantes. Sans doute, dans les dernières années de sa vie, en recourant un peu trop largement à l’aide de ses nombreux disciples, Raphaël a prêté à des reproches que ceux-ci devaient pleinement mériter, Jules Romain surtout, dont les amplifications hâtives et la facilité un peu grosse semblent déjà préparer l’école de Bologne avec ses formules, sa prolixité et ses productions parfois singulièrement habiles, mais le plus souvent aussi dépourvues de caractère que de naturel. A ce