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compte et à rendre ainsi les maîtres responsables de leurs élèves, on aurait trop beau jeu avec Michel-Ange et avec ces imitateurs compromettans de sa manière, qui, en voulant lui emprunter les allures audacieuses que justifiait chez lui son génie, ne devaient nous offrir qu’une image dérisoire de son style et précipitaient bien plus encore le mouvement général de la décadence.

Même en faisant la part de ce qu’il pourrait y avoir de fondé dans ces reproches, il ne serait que juste, en revanche, de dire ce que vaut Raphaël comme éducateur, d’énumérer les services qu’il a rendus à cet égard. Ce goût si délicat et si pur, ce sens de l’antiquité, chez lui si naturel qu’il semble, comme d’instinct, en continuer les traditions, cette mesure parfaite et cette complète absence de manière, cette intelligence de l’expression et de la vie, cette largeur en les exprimant, par-dessus tout cette science de la composition que notre Poussin et bien d’autres encore avec lui devaient apprendre en l’étudiant, tels sont quelques-uns des exemples que Raphaël a laissés à ses successeurs. Il y faudrait ajouter qu’après avoir fixé les lois de la fresque, il a lui-même presque épuisé les beautés de ce genre, l’un des plus élevés de la peinture. On ne devrait pas oublier non plus que dans la gravure, il a opéré une véritable révolution, et que si Marc-Antoine, comme le disait si bien M. Vitet, a été « le confident et le révélateur d’une portion de ce génie divin, » c’est à Raphaël lui-même qu’il a dû, avec la correction, la largeur et la sobriété du dessin, la brusque transformation de son talent dans le sens de la simplicité et du style. Que serait-ce si, après tant de bienfaits dont la liste pourrait être facilement allongée, nous devions ici parler de l’influence exercée par le maître sur tous les arts qu’on appelle industriels, et dans lesquels il a créé lui-même des modèles accomplis sous le rapport du goût uni à la fécondité d’invention? Tous ces bienfaits, dont on ne songe pas assez à lui attribuer l’honneur, parce qu’avec lui ils sont comme entrés dans le domaine public, constituent pour Raphaël autant de titres à une admiration qu’autrefois on lui portait peut-être un peu gratuitement, mais qu’une connaissance aujourd’hui plus exacte de l’histoire de l’art et de l’œuvre du maître mérite de lui assurer d’une manière définitive. Elle sort donc plutôt grandie d’une épreuve si redoutable à d’autres, la figure radieuse de l’artiste qui, au milieu des confusions où nous nous débattons, nous offre encore ces consolantes et sereines images dont, ne fût-ce que par contraste, nous devrions plus complètement que jamais goûter les nobles ordonnances et la beauté.


EMILE MICHEL.