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en réveillant les tentations de la Russie, pouvait ébranler la « grande alliance » de l’Occident, et que ce qui ébranlerait l’alliance de Laybach pouvait troubler toutes ses combinaisons, toutes les conditions de l’ordre conservateur en Europe. Mettre au-dessus de tout la cause de la paix, contenir la Russie dans ses velléités d’action orientale, presser la Porte de désintéresser le tsar et d’enlever tout prétexte aux interventions par une prompte pacification des provinces insurgées, c’était là l’objet multiple de la diplomatie du chancelier d’Autriche pendant ces années.

l! ne désespérait pas d’abord de réussir. Aux premiers momens, c’est une remarque à faire, l’insurrection hellénique n’avait pas en Europe la popularité qu’elle allait bientôt conquérir, qui devait fasciner et entraîner les gouvernemens eux-mêmes. M. de Metternich, le seul qui ne dût jamais changer, trouvait aisément des complices d’opinion et de politique parmi les puissances qui ne voyaient, comme lui, dans le soulèvement grec, qu’une révolution de plus, une atteinte périlleuse à l’intégrité, à l’indépendance de l’empire ottoman. Dans le voyage qu’il faisait vers cette époque à Hanovre, auprès du roi d’Angleterre, il se rencontrait avec lord Castlereagh, devenu lord Londonderry, et du premier coup, il s’était entendu avec le chef de la diplomatie britannique sur les affaires d’Orient. Il n’avait aucun doute sur l’adhésion de Berlin; il croyait pouvoir entraîner la France. La seule et vraie difficulté était toujours l’empereur Alexandre, le souverain à l’imagination chimérique, aux volontés insaisissables. Non pas que ce prince décevant parût disposé à saisir l’occasion ou témoignât de la sympathie pour les Grecs : il les désavouait avec une sorte d’horreur à Laybach. Il ne parlait que de la paix, de la soumission nécessaire des insurgés ; il était tout entier à la politique de la sainte-alliance. Seulement, par une subtilité de ce singulier esprit, l’empereur Alexandre désavouait les Grecs comme révolutionnaires, il les soutenait comme orthodoxes, il entendait rester le protecteur de leurs droits et de leurs intérêts religieux. Il gardait de plus contre la Porte le grief de l’occupation récente des principautés par les Turcs, et il était entretenu dans ces sentimens, dans ces contradictions, par son conseiller le plus intime du moment, par M. Capo d’Istria, qui représentait encore auprès de lui l’hellénisme patient et insinuant. M. Capo d’Istria s’intéressait fort peu aux combinaisons de la sainte-alliance, à la question napolitaine ou à la question espagnole; il n’avait d’intérêt que pour les Grecs, et c’est vers l’Orient qu’il s’efforçait sans cesse de ramener l’esprit de l’empereur Alexandre, en le flattant dans ses faiblesses et dans ses rêves. M. de Metternich passait son temps à combattra le ministre, qu’il n’avait pas ruiné autant qu’il le croyait à Laybach, qui lui était le plus antipathique, et à essayer de retenir, de fixer