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Frédéric II est excommunié, proclamé déchu de toutes ses royautés, et ses sujets, de la Baltique à la Palestine, sont déliés du serment de fidélité.

Au reçu de ces nouvelles, raconte Mathieu Paris, Frédéric II, alors en Italie, se fit apporter tous ses diadèmes : « Les voici, mes couronnes, s’écria-t-il ; ni pape ni concile ne me les arracheront sans qu’il en coûte beaucoup de sang. » La guerre prend alors un caractère inouï de cruauté. Dans la Haute-Italie, Eccelino de Romano n’épargne ni l’âge ni le sexe ; dans le royaume de Sicile, Frédéric crève les yeux, coupe le nez et les mains à ses prisonniers, fait écarteler les municipaux de Bari, brûler vifs des moines et des prêtres qui ont prêché contre lui. Même les femmes et les enfans, il les fait périr dans les flammes des bûchers ou les jette à la mer, cousus dans des sacs. Pour les tortures qu’il prodigue à ses ennemis, il épuise les cruautés juridiques des codes romains. Il est bientôt privé de ses plus fidèles serviteurs : Thaddée de Suessa, le guerrier légiste, le théoricien du césarisme, qui a courageusement défendu son maître au concile de Lyon, est tué au siège de Parme, et les Parmesans mutilent son cadavre. Pierre de la Vigne, chancelier de l’empereur, celui qu’on avait désigné comme l’apôtre de la nouvelle religion, comme le Pierre et comme la pierre angulaire de l’église impériale, devient, paraît-il, infidèle. Accusé de complicité dans une tentative d’empoisonnement sur l’empereur, on lui brûle les yeux ; on le condamne à périr déchiré par la populace ; il échappe à ce supplice en se brisant le crâne contre les piliers d’une église.

En novembre 1250, au château de Fiorentino, une attaque de dysenterie emporte le Messie des gibelins. Frédéric II meurt entre les bras de l’archevêque de Palerme, revêtu de la robe monacale, non de la robe détestée des franciscains, ses ennemis mortels, mais de celle des moines de Cîteaux.

Sa mort n’arrêta pas les hostilités. L’église s’acharna sur la lignée maudite des Hohenstaufen, sur « cette race de vipères, » comme l’appelait Innocent IV. Contre le fils de Frédéric, Conrad IV, elle suscita en Allemagne une série d’anti-césars, fantômes d’empereurs, dont certains ne se montrèrent même pas à leurs sujets. Puis Conrad mourut de la fièvre dans une de ses expéditions italiennes. Contre Manfred, autre fils de Frédéric, un fils naturel, qui ne demandait qu’à conserver le royaume sicilien, on alla chercher un ennemi jusque dans la famille de saint Louis. Manfred fut vaincu par Charles d’Anjou à la bataille de Bénévent : quand le cimier d’argent de son casque tomba, il vit dans cet accident un « signe de Dieu, » et courut chercher la mort au plus épais de la mêlée. Une destinée plus tragique