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des Alice, des Agathe ou des Léonore, de même un orchestre durci par trop de violence désapprend le style plus souple et plus moelleux qui convient aux maîtres classiques. Ce style se conserve mieux au Châtelet qu’à l’Éden, et, soit dit en passant, au Conservatoire mieux encore que partout ailleurs. Il arrive à l’orchestre Lamoureux de jouer trop vite l’ouverture de Coriolan et celle d’Euryanthe ; trop vite aussi, et trop sèchement, la Symphonie pastorale, surtout le second morceau. M. Lamoureux n’a pas toujours l’instinct ou la tradition des mouvemens véritables. Mais ce sont là des critiques de détail, qui ne sauraient beaucoup diminuer un éloge presque sans restrictions.

N’achevons pas sans louer, et complètement cette fois, une petite compagnie de grands artistes : la Société de musique de chambre pour instrumens à vent. Chaque printemps, elle donne salle Pleyel une série de six séances. On ne saurait entendre, à Paris ou ailleurs, de plus jolie musique, ni plus joliment exécutée. Spiritus flat ubi vult. Véritablement, tous ces messieurs soufflent comme ils veulent et jamais Eurus, Notus et Zéphire n’ont fait ramage aussi harmonieux. Il existe pour « les vents » tout un répertoire exquis. Mozart a fait une sérénade qui, jouée ainsi, ferait mettre toute une ville d’Espagne ou d’Italie à ses balcons. L’adagio en est admirable, le finale étincelant, et le scherzo exige, et obtient, de deux clarinettes, des prodiges d’agilité. Certain trio de Weber pour piano, violoncelle et flûte, est charmant avec son scherzo de cristal. Des compositeurs modernes, notamment MM. Lefebvre et Gouvy, sans parler de M. Gounod, ont écrit pour cet orchestre spécial des œuvres très intéressantes. Enfin, l’illustre violoniste Joachim a prêté son concours à une merveilleuse exécution du Septuor de Beethoven, et ce fameux Septuor, si rebattu, si ressassé, a resplendi comme un chef-d’œuvre nouveau. Ah ! L’éclatante musique, sortie toute joyeuse d’un front encore sans rides, d’une âme encore sans blessures ! Toute la jeunesse de Beethoven est là-dedans. Aussi M. Joachim et ses compagnons ont-ils joué avec jeunesse, avec enthousiasme, et cependant avec le style le plus pur. Jamais M. Joachim, et c’est l’honneur de ce grand artiste, ne dénature les maîtres qu’il interprète. Il se contente de les comprendre, et peu d’interprètes les comprennent comme lui. — Il faudrait louer tout le monde dans cet excellent petit orchestre. Après ses chefs éminens, MM. Taffanel, Gillet, Turban, nous serions heureux de nommer au moins les autres ; mais ils sont trop : ce serait la rose des vents.


CAMILLE BELLAIGUE.