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sous forme fragmentaire et impersonnelle, il essaya de le faire sous une forme systématique et synthétique. Bien entendu, il n’avait pas à entrer dans le détail des sciences ; mais il pouvait fixer l’idée de la science, diviser, classer et hiérarchiser les sciences, caractériser chacune d’elles par sa méthode et ses idées fondamentales, et les enchaîner ainsi les unes aux autres. Or, c’est là précisément ce que d’Alembert avait essayé de faire lui-même, soit dans la Préface de l’Encyclopédie, soit dans ses Elémens de philosophie, et surtout dans les Éclaircissemens de cet ouvrage. Or, par Saint-Simon, nous sommes remontés à d’Alembert, par d’Alembert nous remontons jusqu’à Bacon. On sait, en effet, que la Préface de l’Encyclopédie dérive en droite ligne de Bacon, et que c’est lui qui est représenté comme le premier inspirateur de cet ouvrage.

On voit qu’Auguste Comte se rattache à Bacon par une filiation assez directe, sans passer le moins du monde par l’intermédiaire d’aucun philosophe proprement dit, par exemple Condillac ou Helvétius. C’est cette filiation baconienne qui a facilité le passage de la philosophie de Comte en Angleterre. Elle retournait à sa source. C’est pourquoi l’on voit les Anglais, Stuart Mill, Grotte, Miss Martineau, Herbert Spencer se rattacher plus ou moins directement à Comte, et saluer son œuvre dans le temps même où en France elle était encore presque ignorée. C’est encore un caractère de cette philosophie qui se retrouve également dans la philosophie anglaise, surtout dans celle de Spencer, d’avoir son origine exclusive dans les sciences proprement dites, tandis qu’à la même époque, en France, un autre savant, bien plus grand qu’Auguste Comte, l’illustre Ampère, reconnaissait deux groupes irréductibles de sciences, les sciences de la matière et les sciences de l’esprit, et fondait sa propre philosophie, selon la tradition de Descartes, sur la connaissance de l’esprit par lui-même.

En résumé, nous trouvons trois précurseurs à Auguste Comte : Saint-Simon, d’Alembert et Bacon. Il faut encore en ajouter un quatrième, auquel, du reste, se rattachait également Saint-Simon, et que l’école saint-simonienne a toujours compté parmi ses ancêtres : c’est Condorcet. Si par ses vues générales sur la science et l’organisation des sciences, Auguste Comte rappelle d’Alembert et Bacon ; d’un autre côté, par ses vues sur la philosophie de l’histoire et sur le développement de l’esprit humain, Auguste Comte relève de Turgot et de Condorcet. Si nous considérons maintenant que Condorcet a été lui-même en mathématiques, l’élève de d’Alembert, qu’il fut son exécuteur testamentaire, qu’il prononça son éloge à l’académie des sciences, qu’il collabora à l’Encyclopédie, on voit que nous ne sortons pas de la tradition encyclopédique, et que c’est