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Marie-Louise avait eu, dès sa petite jeunesse, une correspondance réglée avec la comtesse Colloredo, depuis princesse de Lorraine, qui pendant dix ans avait été sa gouvernante, et avec Mlle Victoire de Poutet, née d’un premier mariage de la comtesse Colloredo, et qui, en 1810, épousa le comte de Crenneville. On vient de publier à Vienne un choix des lettres qu’elle adressa en français à ses deux amies de 1799 à 1847, année de sa mort[1]. Cette publication, entreprise, nous dit-on, sous les auspices du comte de Falkenhayn, ministre de l’agriculture, et dont le produit est destiné à des œuvres de bienfaisance, a été entourée, nous ne savons pourquoi, d’un certain mystère. Les auteurs de ce recueil se sont crus tenus de cacher leurs noms, et on chercherait vainement dans leur courte préface les explications qu’il est d’usage de donner au lecteur quand on publie une correspondance inédite. Ils se contentent de nous dire : « Sa Majesté a fait bien des ingrats partout. Ne pas publier ces lettres nous semblerait un vol fait au public, un tort au souvenir de la duchesse de Parme. » Ils ajoutent qu’ils ont mis tous leurs soins à les trier pour exciter plus sûrement l’intérêt du lecteur : « Puissions-nous, le jour des morts, où le monde afflue dans le caveau impérial, entendre dire : Voici le cercueil de l’archiduchesse Marie-Louise, qui l’année 1810 s’est sacrifiée pour la monarchie et son père ! Paix à son âme ! .. Cet appel est une fleur déposée sur sa tombe. » Ces lettres intimes, écrites à la hâte, sans prétention et sans apprêt, sont curieuses et nous aident à mieux comprendre l’étrange caractère de Marie-Louise ; mais nous doutons qu’elles changent, soit en bien, soit en mal, l’opinion qu’on s’était faite de la duchesse de Parme, et que sa tombe soit jamais de celles qu’on se plaît à fleurir.

Le 28 mars 1810, Napoléon disait à l’un de ses familiers en lui tirant les oreilles : « Mon cher, épousez une Allemande. Ce sont les meilleures femmes du monde : douces, bonnes, naïves et fraîches comme des roses. » Il venait d’en tâter, et il était charmé de son aventure. C’est une bonne petite fille, douce, naïve et fraîche qui nous apparaît dans les lettres enfantines de l’archiduchesse Marie-Louise. Elle avait ses accès d’humeur et de mutinerie ; elle s’en accusait bien gentiment et sauvait tout par ses jolis petits repentirs. « J’avoue que j’étais punissable, car je montrai bien de la mauvaise volonté et des caprices ; je l’en prie, pardonne-moi cela, je ne le ferai plus du tout dans ma vie. J’aurais bien du plaisir si ma bonne est contente de moi, car quand elle mourira, je pleurerai beaucoup. » Le 22 décembre 1802, elle envoie à sa gouvernante un présent pour son jour de naissance : « Je t’en prie, accepte cette petite bagatelle. La broderie des fleurs du fichu, le

  1. Correspondance de Marie-Louise, 1799-1847, lettres intimes et inédites à la comtesse de Colloredo et à Mlle de Poutet, depuis 1810, comtesse de Crenneville, avec trois portraits. Vienne, 1887 ; Charles Gerold fils, éditeurs.