chefs-d’œuvre de notre art occidental. En demeurant attachée aux types hiératiques, la peinture orthodoxe a échappé au paganisme de la renaissance : l’art religieux, maintenu dans une perpétuelle minorité, ne s’est point, comme en Occident, tué en s’émancipant.
À la persistance de cet art archaïque, il y a ainsi pour les Russes plusieurs raisons. Ce n’est pas seulement le respect séculaire des types traditionnels, l’imperfection du dessin et de l’éducation technique ; c’est aussi l’esprit d’ascétisme, encore vivant dans une grande partie du peuple. Si cet art sacré s’est pour lui pétrifié en des formes conventionnelles, c’est qu’il n’a pas cessé de répondre à l’idéal religieux de la nation. Puis, pour faire sortir des figures vivantes des longues gaines byzantines, pour passer de la grave vierge grecque aux suaves madones de Luini ou de Francia, il faut des mouvemens politiques ou religieux, des révolutions sociales et morales, comme en ont vu l’Italie et l’Occident à la fin du moyen âge. Où la Russie d’Ivan le Terrible ou de Michel Romanof eût-elle pris les inspirations des vieux maîtres des communes de Toscane et des Flandres ? Quelle main eût en l’audace de relever le voile de la Vierge et de dégager sa taille ? La Moscovie devait être impuissante à s’affranchir de l’art hiératique ; l’idée même ne lui en pouvait venir.
Ce que n’a pu faire autrefois l’ancienne Moscovie, tirer des types byzantins un art nouveau, la Russie moderne ne saurait aujourd’hui l’accomplir ; elle en a passé l’âge. De pareilles mues ne s’opèrent qu’à l’adolescence des nations. Depuis que la Russie est envahie par l’imitation de l’art occidental, la peinture religieuse a peine à rien créer d’original. Tous les efforts pour la renouveler ne font que montrer la difficulté de sortir du style byzantin sans tomber dans le style profane. Le problème est d’autant plus malaisé, que l’art russe contemporain incline plus franchement au réalisme. La Russie a, sous Nicolas, possédé un artiste d’un génie singulier qui s’était voué aux compositions religieuses ; mais cet Ivanof, dont la vie s’est passée à peindre un unique tableau, n’a guère laissé que des esquisses et des ébauches. Les grandes églises modernes, Saint-Isaac à Pétersbourg, l’église du Sauveur à Moscou, trahissent, dans leurs plus belles peintures, les tâtonnemens d’un art en train de se chercher lui-même. Les Russes en quête de rajeunir les types traditionnels versent souvent dans les mêmes défauts que l’imagerie catholique contemporaine. En cherchant la grâce, ils rencontrent la mignardise ; en poursuivant le naturel, ils tombent dans la vulgarité. Quand elles veulent se moderniser et s’enjoliver, qu’elles essaient de sourire dans leur vêtement de vermeil, les icônes russes ne font que perdre de leur dignité : elles ressemblent à de vieilles femmes qui ne savent point être de leur âge. On comprend que les sectaires russes repoussent tous ces types adoucis ; dans ces visages