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roses et mièvres, le vieux-croyant se refuse à reconnaître le Christ et la Vierge. Comme le moujik, on serait tenté de leur préférer les grossières images de Souzdal[1].


III

Il en a été de la musique autrement que de la peinture. Si les lois ecclésiastiques en ont rétréci le champ, elles ne l’ont pas entouré de bornes aussi étroites, ou le génie russe ne s’y est pas laissé enfermer. Il ne s’est point contenté de ce qu’il avait reçu de Byzance, il s’est fait du chant religieux un art national.

De même qu’entre les arts du dessin elle n’admet que le moins matériel, la peinture, l’église orthodoxe ne tolère, en fait de musique sacrée, que la plus spirituelle, la plus liée à la prière, le chant. Chez elle, point d’instrumens inanimés de bois ou de cuivre ; rien, pour louer Dieu, que la voix humaine, l’instrument vivant, accordé par le Seigneur pour célébrer ses louanges éternellement. Dans les temples de l’Orient, ni harpe ou psaltérion comme chez les Hébreux, ni viole ou basson tels que fra Angelico et Pérugin en mettent aux mains de leurs anges, ni orgue aux mille sons, ni orchestre aux instrumens variés ; rien pour soutenir le chant des clercs ou des fidèles : à l’église comme au ciel, les cantiques des hommes, de même que les chœurs des anges, doivent se suffire à eux-mêmes. Chose à remarquer, si, dans ses basiliques ou ses cathédrales, Rome a laissé pénétrer la musique instrumentale, les chefs de la hiérarchie romaine, les papes, ont, eux aussi, banni de leur chapelle tout instrument fabriqué de main d’homme. Dans tous les offices auxquels prend part le pape ne retentit que la voix humaine ; l’orgue même est proscrit. Et ce n’est pas l’unique ressemblance entre la chapelle pontificale et l’église patriarcale de Constantinople. Il serait aisé d’en signaler d’autres, par la bonne raison qu’en dehors de Milan et du rit ambroisien, c’est à Rome même, autour du suprême pontife, que le rit latin est demeuré le plus antique.

Strictement fidèle à ses maîtres pour la peinture, l’église russe s’est, pour le chant religieux, émancipée de leur tutelle. Elle ne s’en est point tenue, comme eux, à la psalmodie nasillarde qui

  1. Pour certaines de leurs grandes églises, telles que Saint-Isaac, les Russes ont repris la décoration en mosaïque partout d’un caractère si monumental. Ils ont, à Pétersbourg, une fabrique de mosaïque qui ne le cède en importance qu’à celle des papes, dont elle imite les méthodes. Au lieu de demeurer un art distinct, essentiellement décoratif, ayant ses procédés et ses effets, la mosaïque, en Russie comme à Rome, prétend, à force de nuances et de finesse, reproduire servilement la peinture.