Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II. — LA DISCIPLINE.

A l’intérieur, elle avait toujours été bonne, et l’on ne trouve guère dans la correspondance générale, avant 1789[1], de plaintes sérieuses au sujet de la conduite des troupes. Par-ci par-là, quelque acte de mutinerie individuelle, ou quelque querelle de cabaret, une rixe avec le guet ou le bourgeois, et c’est tout. Avec de bons cadres, il est toujours facile, en temps de paix, de maintenir le soldat. En campagne, le problème est moins simple, et l’ancien régime ne l’avait certes pas résolu. Quand une troupe souffre de la chaleur ou du froid, de la soif ou de la faim, qu’elle vient de se battre ou de faire une longue marche, et qu’elle est rompue de fadgue.il est bien difficile d’exiger d’elle une soumission absolue. Le droit des gens est certainement une belle chose : il condamne, — et il a raison, — l’abus de la force. Mais allez donc demander à des hommes qui ont déjà fait le sacrifice de leur vie d’y ajouter le respect de la propriété, le jeûne, et la chasteté ! Empêchez-les, quand ils en trouvent l’occasion, de se refaire aux dépens du pays et de ribauder un peu ! Bien peu de généraux y sont parvenus. Il y en a cependant plus d’un exemple au XVIIIe siècle, un surtout bien mémorable. A la prise de Prague, enlevé d’assaut la nuit, la troupe ne commit aucun excès. « Ce qui est incroyable, mandait à cette occasion M. de Mirepoix, c’est que nous ayons pu, — dans ces conditions, — contenir le soldat et empêcher le désordre. Il n’y a pas en une seule maison de pillée[2]. » Dans cette même guerre de la succession d’Autriche, plusieurs généraux rendent également hommage à la bonne tenue des troupes. « Il règne jusqu’à présent un très bon esprit dans le militaire, écrit M. de Montal ; à peine a-t-on encore entendu parler de maraudes ; aussi sommes-nous accueillis fort bien partout où nous passons[3] (de Sedan à Aix-la-Chapelle). » Et quelques jours après : « Il ne s’est pas pris une carotte dans le pays. »

« La bonne discipline s’est soutenue, et je puis sans exagération

  1. Archives de la guerre. — Le premier acte d’indiscipline un peu grave qu’on y rencontre est une protestation des officiers du régiment de Busigny contre les ordres qu’ils avaient reçus du roi lors de la répression des troubles de Bretagne au moment de la convocation des états-généraux. Et c’est en vain que La Fayette, dans ses Mémoires, a tenté, pour se disculper, de rejeter sur la monarchie la responsabilité des graves désordres qui accompagnèrent et suivirent la convocation des états-généraux. Les deux ou trois faits qu’il cite n’ont pas, à beaucoup près, l’importance et le caractère de généralité qu’il cherche à leur attribuer.
  2. Détail de la prise de Prague, par M. de Mirepoix. (Extrait des campagnes de Broglie et de Belle-Isle.)
  3. Lettre à Breteuil du 7 septembre 1741.