Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ancien ministre de la guerre, il l’a traité un peu rudement, il l’a caractérisé d’une parole qui n’était pas faite pour plaire. Le commandant du 13e corps, se croyant offensé, a demandé une réparation par les armes, dont il a tenu, parait-il, à régler lui-même les conditions rigoureuses. Les témoins des deux adversaires, en gens d’honneur, se sont rencontrés pour débattre les conditions ; ils n’ont pas pu s’entendre, ils ont donné leurs raisons et l’affaire en est restée, là. L’incident n’aurait en rien que de simple dans d’autres circonstances et avec un autre homme. Malheureusement, avec l’ancien ministre de la guerre, rien ne peut se passer simplement, sans bruit, et à peine le secret de la rencontre éventuelle a-t-il été divulgué, tout le monde s’en est mêlé. La galerie a pris son rôle, débattant les conditions, donnant son avis sur les chances plus ou moins meurtrières du duel, pressée d’avoir son spectacle. On aurait dit, en vérité, qu’il y avait là un cirque ouvert où l’on était impatient de voir deux anciens ministres descendre pour s’exterminer. Naturellement, les amis compromettans de M. le général Boulanger n’ont pas laissé échapper l’occasion de sonner la trompette pour leur héros, en couvrant d’injures M. Jules Ferry, en l’outrageant dans son caractère, en allant même jusqu’à suspecter son courage. Ils n’ont certes rien négligé pour envenimer le différend. Puis ces amateurs de duels à outrance se sont trouvés déçus par le résultat des négociations des témoins. Tout s’est terminé sans plus d’éclat, et c’était, après tout, ce qu’il y avait de plus heureux, ne fût-ce que pour mettre fin à ce débordement de féroce frivolité qu’on a eu sous les yeux pendant quelques jours. C’était aussi ce qu’il y avait de plus conforme à la nature des faits.

A parler simplement, rien n’est sans doute plus délicat que ces questions où les susceptibilités de l’honneur sont en jeu, où l’intéressé est le premier juge de ce qu’il se doit à lui-même. M. le général Boulanger a cru avoir droit à une satisfaction, il l’a demandée : soit ! Il faut cependant voir les faits comme ils sont et ne pas se méprendre sur le caractère d’un incident que les passions ont dénaturé, qui, en définitive, n’avait rien de personnel. Il ne s’agissait pas, en réalité, dans tout cela, de l’honneur personnel de l’ancien ministre de la guerre, qu’un mot, si dur qu’il paraisse, n’a pu atteindre, ni de son honneur de soldat et de son courage, que personne ne met en doute. Il s’agissait encore moins de l’honneur de l’armée, que M. Jules Ferry n’a pas pu songer à mettre en cause, que le commandant du 13e corps, dans tous les cas, n’aurait pu se charger de défendre qu’en sortant du rang, comme il le fait depuis longtemps, en s’attribuant le privilège d’être le gardien de l’honneur militaire. Que reste-t-il donc ? C’était forcément, qu’on l’ait voulu ou qu’on ne Tait pas voulu, une affaire politique, un incident nouveau de cet étourdissant imbroglio où l’ancien ministre de la guerre prétend toujours garder son rôle.