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Ils sont toujours prêts, on le sait bien. C’est leur devoir, c’est leur métier, héroïque métier, de marcher à l’ennemi au premier ordre, sans tant de façons, sans avoir à faire leur cour à un ministre. S’il s’agissait d’une arrière-pensée de complicité dans quelque coup d’état, sur quoi se fonde-t-on pour diriger par voie d’insinuation une accusation semblable contre une partie de nos chefs militaires, au risque de jeter la suspicion, le trouble et la division dans l’armée ? On n’a pas vu qu’on ne disait rien ou qu’on en disait déjà trop. La vérité est qu’à la première explication, il n’est plus rien resté de cette légende des quatre-vingt-quatorze généraux, pas plus que de la conspiration de la droite, de cette délégation qui, tout compte fait, a uni par se réduire à un seul délégué, qui n’était pas même un délégué. Il se serait trouvé, en effet, paraît-il, un homme d’esprit et de parole alerte, député bonapartiste du Calvados, M. Delafosse, qui ne craint pas les dictatures et ne s’en cache guère, qui aurait fait un jour compliment à l’ancien ministre de la guerre de sa popularité, en laissant comprendre qu’avec cela et une occasion favorable on pouvait aller loin. L’excitation au coup d’état est évidente ! et voici qui est mieux : M. le général Boulanger, au lieu de se sentir offensé, loin de prendre les attitudes puritaines qu’on lui prête, aurait répondu par des bonnes grâces, des invitations à dîner et les faveurs de son administration. Le plus clair est que l’ancien ministre de la guerre a pris pour des propositions de connivence quelques paroles en l’air ; que, s’il a reçu des confidences compromettantes, il en a fidèlement gardé le secret vis-à-vis de ses collègues du gouvernement, et que toutes ces divulgations aussi puériles que bruyantes sont tout simplement la continuation de la politique tapageuse de la gare de Lyon.

Le malheur est que dans cette voie on ne s’arrête plus, on ne sait plus où l’on va ; on s’étourdit dans l’atmosphère factice qu’on se crée, dans ce tourbillon d’indiscrétions bruyantes, de provocations, de polémiques plus ou moins injurieuses, de querelles personnelles qui ne manquent pas de naître bientôt du choc des vanités et des ambitions. On fait de ses propres affaires un spectacle autour duquel s’attroupe aussitôt le public, non par intérêt ou par sympathie, comme on le croit peut-être, mais par une curiosité oisive et sceptique, pour s’amuser un instant, pour voir comment vont se comporter des hommes qui ont occupé ou occupent encore des postes de l’état, qui se sont trouvés brusquement en présence dans la mêlée. Ainsi en a-t-il été de ce récent projet de rencontre à main armée entre l’ancien ministre de la guerre, commandant du 13e corps, et un ancien président du conseil, M. Jules Ferry. Le fait, par lui-même, n’a rien de particulièrement extraordinaire. M. Jules Ferry, dans le discours qu’il a prononcé dernièrement à Épinal, a très hardiment abordé les points les plus graves de la politique du jour, et, trouvant sur son chemin