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On n’a pas oublié peut-être qu’à l’époque où le prince Alexandre de Battenberg venait d’être élu, il y a quelques années, par les Bulgares, M. de Bismarck, en lui conseillant d’accepter, lui aurait dit d’un ton narquois que les voyages formaient la jeunesse, qu’il aurait après tout un épisode intéressant à mettre un jour dans ses mémoires. Le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg, élu à son tour par les Bulgares, sera-t-il plus heureux que le prince Alexandre de Battenberg, ou en sera-t-il quitte pour avoir, comme son prédécesseur, un intéressant épisode de jeunesse à raconter plus tard dans ses mémoires, selon la railleuse prédiction du chancelier de Berlin ? Toujours est-il qu’après avoir paru hésiter jusqu’au dernier moment, il a fini par céder à la tentation d’une couronne, et il s’est jeté la tête la première dans cette aventure. Le nouveau prince est parti pour la Bulgarie, où régens et ministres l’attendaient et l’ont reçu avec toutes les pompes officielles. Il s’est arrêté à Tirnova, où la Sobranié qui l’a élu se trouvait réunie, et il a pris définitivement possession de sa couronne. Il est allé à Sofia, il est allé en Roumélie, à Philippopoli. Il a fait des proclamations, il a prononcé des discours ; il a eu aussi, bien entendu, sur son passage, les ovations et les acclamations qui ne manquent jamais. Le voilà prince régnant ! Jusque-là, rien de mieux. Malheureusement c’est ici que les difficultés commencent pour lui, et ces difficultés sont certes aussi graves que nombreuses. D’un côté, à l’intérieur, la Bulgarie est visiblement livrée à une assez grande confusion. De quelques manifestations que le prince Ferdinand ait été l’objet, il ne peut se méprendre sur le dangereux état d’un pays où le prince Alexandre de Battenberg a gardé ses partisans, où la Russie a sa clientèle orthodoxe, où les partis sont divisés par des haines irréconciliables, et la preuve la plus frappante, la plus significative de ce qu’il y a d’anarchique dans cette situation, c’est la peine qu’a eue le nouveau souverain à composer un ministère, qui n’est peut-être pas même encore formé. D’un autre côté, à l’extérieur, le prince Ferdinand de Cobourg a eu beau essayer de se mettre en règle en annonçant son arrivée à la puissance suzeraine, à la Porte, et en notifiant son élection aux cabinets de l’Europe, il n’a pu se faire longtemps illusion. Il sait bien la position qu’il s’est créée en acceptant la couronne bulgare sans l’assentiment des puissances, en se mettant en dehors du droit international défini par les conventions de Berlin, et, en réalité, dès son arrivée à Sofia, il s’est trouvé complètement isolé. La Porte a retiré le commissaire extraordinaire qu’elle avait envoyé comme état suzerain. La Russie n’en est pas à témoigner son implacable animadversion contre tout ce qui se passe en Bulgarie depuis deux ans, et elle n’admet pas plus le prince récemment débarqué que l’assemblée qui l’a élu et les régens qui l’ont appelé. Tous les agens diplomatiques se sont abstenus de reconnaître le nouveau pouvoir. De sorte que, du premier