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courtisans qui ne voulaient pas de la paix, parce qu’elle aurait ajouté à sa gloire. Au milieu de cette explosion maladroite, il eut pourtant un éclair de bon sens. Il ne chercha pas à retenir Eugène ; seulement il lui dit qu’au moment de rompre et de reprendre une guerre qui durerait sans doute plusieurs années, il le priait de lui remettre un mémoire écrit qui résumât, comme dans un ultimatum, toutes les demandes suprêmes de l’empereur, et qui pût leur servir à tous deux de justification en présence des attaques auxquelles leur conduite serait certainement en butte. Il lui demanda en outre d’organiser son voyage de telle façon qu’une réponse du roi, quelle qu’elle fût, pût le trouver encore à Stuttgart ou à Augsbourg. Eugène, qui ne s’attendait pas à être si vite pris au mot, accepta avec empressement une proposition qui lui permettait, sans se dédire, de laisser encore une porte ouverte à la conciliation[1] ; il fut donc convenu que, aussitôt la note rédigée et remise à Villars, les deux plénipotentiaires quitteraient Rastadt le même jour, l’un pour Stuttgart, l’autre pour Strasbourg, et qu’ils y attendraient, chacun de leur côté, les derniers ordres du roi. Villars dut donner sa parole d’honneur que cette réponse serait définitive.

Le mémoire, ou ultimatum d’Eugène, fut remis le 6 février. Il renfermait une série d’observations puériles ou insignifiantes, sur lesquelles nous passons, telles que l’obligation de rédiger le traité en latin, d’appeler les deux électeurs ci-devant électeurs de Cologne et de Bavière… Les objections sérieuses n’étaient pas nombreuses ; il en était que la discussion eût facilement résolues, si Eugène l’avait acceptée : c’étaient les demandes en faveur de la princesse des Ursins et de Rakoczy, que les premières instructions de Villars l’autorisaient à abandonner ; — la cession de Germersheim, objet d’un malentendu qu’il suffisait d’éclaircir pour le faire disparaître ; — la question des Catalans : Eugène demandait qu’on la passât sous silence et qu’on se bornât à stipuler une amnistie en faveur des émigrés espagnols, demande agréée d’avance et avec satisfaction par Louis XIV. Les conditions réellement graves contenues dans le mémoire d’Eugène se réduisaient à quatre. Dans le préambule, il demandait que Charles VI figurât avec tous ses titres, c’est-à-dire avec les titres du roi d’Espagne ; que l’empire fût nommé conjointement avec l’empereur, et que l’on supprimât la phrase par laquelle Louis XIV déclarait reconnaître l’archiduc en qualité

  1. Les derniers ordres de l’empereur lui enjoignaient formellement : « dans le cas où le projet français ne pourrait pas s’accorder avec ses instructions, de ne pas rester à Rastadt, mais de ne pas rompre complètement la négociation, de la suspendre seulement, afin qu’elle put être reprise et menée à bonne fin si la France s’y prêtait. » (Eugène à l’empereur, 2 février 1714. Archives I. R. de Vienne.)