Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’empereur. L’article 1er, déclaration banale du rétablissement de la paix entre les deux souverains, se terminait par la phrase consacrée : « Nonobstant toutes promesses, traités ou alliances contraires faits ou à faire en quelque sorte que ce soit. » Eugène demandait qu’on y ajoutât : « lesquels tous sont abolis par le présent traité en tant qu’ils pourraient lui être contraires. » Eugène demandait également que dans l’article 21, relatif à la cession des Pays-Bas, la mention du traité d’Utrecht fut supprimée ; il réclamait aussi la suppression de l’article 30, qui stipulait que la paix serait conclue sans retard entre l’Autriche et l’Espagne. Enfin, dans l’article 31, relatif aux acquisitions de l’Autriche en Italie, Eugène demandait que les mots possédés actuellement fussent remplacés par une expression qui autorisât l’empereur « à se mettre en possession de ce qui n’était pas évacué par l’Espagne, » et que l’on supprimât la mention du traité conclu en 1703 entre l’empereur Léopold et le duc de Savoie.

L’intention de ces demandes est manifeste ; à l’exception de celle relative à la reconnaissance de l’empereur et à son union avec l’empire, demande inspirée par une légitime susceptibilité, elles laissent toutes voir la même pensée. Eugène revient à son premier procédé : par des habiletés de rédaction et des omissions calculées, il veut réserver à Charles VI, si les circonstances redevenaient favorables, la faculté de déclarer non avenus pour lui tous les traités d’Utrecht, de revendiquer la couronne d’Espagne, dont il n’aura cessé de porter légalement le titre dans les protocoles, et, en attendant, de poursuivre pacifiquement ses conquêtes en Italie, soit en prenant Porto-Longone, soit en enlevant au duc de Savoie la Sicile et les provinces attribuées à ce prince par les traités d’Utrecht et de 1703, soit en restant seul maître des restitutions à opérer au duc de Mantoue et aux autres princes dépossédés. Ainsi, les seuls intérêts visés par ces demandes sont les intérêts particuliers de la maison d’Autriche, et c’est pour leur unique satisfaction qu’Eugène risquait une nouvelle guerre. Il avait accompagné l’envoi de ce mémoire d’une note dans laquelle il disait que, si ces conditions suprêmes n’étaient point acceptées, « ce serait une marque que l’on ne veut pas la paix, » ajoutant que, dans ce cas, il était persuadé que « toute la terre, qui ne manquera pas d’être informée du cours de la négociation, ne pourrait que les trouver justes et équitables. »

Le prince de Savoie se faisait une étrange illusion s’il croyait qu’en cas de rupture la publication de ce document l’eût justifié aux yeux de « toute la terre. » Les puissances maritimes n’auraient trouvé ni « juste » ni « équitable » la prétention de reconstituer en faveur de Charles VI l’empire de Charles-Quint et de détruire