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présent par les faits. On n’a pas vu très nettement jusqu’ici que les grandes époques littéraires fussent les grands siècles de liberté politique, et tout au plus peut-on dire que ce n’est pas le contraire qui est le vrai. Le progrès de la littérature à travers les siècles est infiniment difficile à observer avec certitude. Il y a là des progrès partiels, des arrêts et des reculs qui ne laissent point de dérouter les esprits un peu timides. Enfin, il parait plus assuré que les littératures expriment le tour d’esprit des nations, et si elles l’expriment, il n’est pas douteux qu’elles le créent, comme par un contrecoup. Ainsi que, dans l’esprit de chacun de nous, l’expression naît de l’idée, mais à son tour donne à l’idée conscience d’elle-même, fait qu’elle vit et peut produire au lieu de rester incertaine et inféconde, de même si une littérature exprimait réellement l’âme d’un peuple, ce ne serait pas trop de dire qu’elle ne serait point autre chose que cette âme même, et le principe de vie qui animerait tout. En est-il ainsi ? En vérité, on ne sait. Voit-on si nettement la réforme sortir de la renaissance et la révolution française du XVIIIe siècle ? Pour ce dernier cas, on croit être bien sûr du rapport de cause à effet, et c’est bien pour cela que Mme de Staël est si ferme en sa théorie. Mais comme on hésite quand on songe au divorce continuel qui existe entre la haute littérature d’un pays et celle dont le peuple s’inspire ! N’est-il point vrai que, dans tous les ordres de la pensée, dès qu’on parle au peuple, ce n’est pas un secours d’être grand philosophe, grand poète, romancier supérieur, politique instruit, mais une gêne ? On dit, et l’argument est sérieux : la pensée pure s’élabore en effet dans quelques cerveaux d’élite, mais elle descend, un peu plus compacte, sous une forme plus vulgaire, à travers les intelligences intermédiaires, jusqu’au peuple proprement dit, qui en fait sa substance morale. Mais cette pensée, ainsi altérée de proche en proche, n’arrive-t-elle point à son dernier terme tellement différente de soi qu’elle n’en est plus que le contraire ? Je veux que la révolution soit la pensée de Voltaire, et, en vérité, il n’est pas impossible ; mais ce sera l’idée de la tolérance tellement changée en voyage qu’elle sera devenue à son arrivée la passion intolérante la plus absolue. Je veux que la révolution soit la pensée de Rousseau, et notez bien que je ne suis pas si éloigné de le croire ; mais encore qu’il procède du Vicaire savoyard, Robespierre est tellement différent de ce que peut-être il a été en son origine, que Rousseau n’en est plus responsable. Mais s’il y a dans l’effet tant de parties qui n’étaient point dans la cause, la cause est-elle causé encore ? On ne sait. — On ne sait, et c’est bien l’inconvénient de ces théories si générales. On sent qu’elles « ont du vrai, » et la pire manière d’être faux, c’est d’avoir du vrai. Le faux absolu serait moins grave ; car, « marque