Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’allégro final, le terremoto, rompt trop tard l’uniformité rythmique de l’ensemble. Il faut pourtant signaler, au courant de l’ouvrage, de sérieuses beautés : la seconde parole : Hodic mecum eris in paradiso, dont le commentaire musical égale presque la brève et magnifique analyse de Bossuet : « Aujourd’hui, quelle promptitude ! Avec moi, quelle compagnie ! Dans le paradis, quel repos ! » — La troisième parole : Mulier, ecce filius tuus, est belle aussi ; mais l’introduction surtout mérite un éloge spécial. Elle est écrite dans un style dégagé, libre de fugue et de contre-point, que ne connaissaient pas les devanciers de Haydn. Pour la première fois, l’idée brise les entraves scolastiques, et la loi plus libérale de la forme, après la tyrannie de la formule, se fait douce à l’esprit nouveau.

Nous le verrons sourdre mystérieusement, cet esprit de vie, dans les œuvres qui, désormais, viennent à nous. De l’âme de celui qu’on appelle maintenant le vieux Haydn, de cette âme qui fut si jeune et si féconde, où fermentaient tant de germes épanouis aujourd’hui, de cette âme a jailli le beau duo de la Création. Nous reviendrons, en étudiant la nature dans la musique, à l’ensemble de l’œuvre ; mais le début de la troisième partie, cette première prière des deux premiers êtres humains, ne saurait attendre les éloges. Elle les mérite tous, ceux de Stendhal exceptés. À ce propos, il est bon de dire en passant, pour ceux qui l’admirent à outrance, que le père du réalisme fut un pauvre critique. N’a-t-il pas écrit « que le caractère de la musique instrumentale de Haydn est d’être pleine d’une imagination romantique. C’est en vain qu’on y chercherait la mesure racinienne ; c’est plutôt l’Arioste ou Shakspeare. » — Rien de plus calme, au contraire, que le prélude instrumental par lequel s’ouvre la dernière partie de la Création ; rien de plus serein que le récit d’Uriel. Le duo qui suit, entre Adam et Eve, n’est que religieux, vierge encore de toute passion humaine. C’est un chaste remercîment pour le bienfait de la vie, de cette vie répandue avec le souille divin sur deux âmes idéalement pures, sur deux corps idéalement beaux. Aussi pure, aussi belle, cette page est écrite dans le plus simple des tons, sans une modulation cherchée, sans une dissonance, seulement avec des notes qui s’aiment. Elle a la même fraîcheur de jeunesse et d’innocence que les lèvres de la femme attendant le premier baiser.

La femme ! voici qu’elle apparaît pour la première fois dans la musique religieuse, et nous l’y trouverons sous les types adorables et divers que lui donne le christianisme : Eve, Madeleine, Marie. Pergolèse a chanté plus éloquemment que tout autre les douleurs maternelles de la Vierge. Écrit pour soprano et contralto, le Stabat emprunte à l’emploi de ces deux voix seules un caractère