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particulier de tendresse. « Harmonie ! harmonie ! s’écriait Musset, qui nous vins d’Italie et qui lui vins des cieux ! » On comprend ici cet élan vers la vieille terre sacrée. Dans sa forte et simple jeunesse, avec Pergolèse, par exemple, ou depuis avec Rossini, avec Verdi, dans ces retours à sa gloire passée, le génie italien garde toujours un attrait qui n’est qu’à lui, la splendeur du ciel natal. Lisez le Stabat de Pergolèse, et aussitôt après, sans vous effrayer de l’espace à franchir, le Stabat de Rossini ; tous deux sont plus éloignés par les années que par le sentiment. On trouve, cela va de soi, chez Rossini le progrès moderne, l’emploi plus ingénieux ou plus puissant des ressources harmoniques et instrumentales. Pergolèse eût tremblé peut-être devant le foudroyant Inflammatus de Rossini ; mais c’est pourtant son Inflammatus à lui qui nous fait devancer l’ordre des temps et rapprocher ici les deux maîtres pour les louer ensemble. Le Stabat rossinien est peu religieux, moins douloureux encore ; il sonne comme une cantate héroïque ; mais cette série de cavatines, d’airs de bravoure, flamboie comme une traînée de poudre ; explosion de mélodie pure, orgie de couleurs d’un Rubens musicien. Rossini sacrifie la pensée à la musique ; il oublie de prier, de gémir, pour chanter seulement. Épris avant tout de la beauté musicale et vocale, d’une beauté presque plastique, un peu profane, il suit, l’oreille ravie, l’essor de cette voix humaine que l’Italie a tant aimée. Aux jours de notre jeunesse, chaque vendredi saint, à Saint-Eustache, la digne fille d’un illustre artiste italien[1] chantait la pathétique prière avec du soleil dans la voix et du soleil dans le cœur. On allait à la vieille église des Halles en pèlerinage d’avril, sous un ciel déjà attiédi. Dans les rues embaumaient les premières charrettes de fleurs, et, par le porche ouvert, des rayons et des parfums entraient, comme attirés par cette musique, leur sœur. Sous les voûtes claires passait un souffle printanier. Il semblait, lui aussi, venir de l’Italie, du pays où la religion est joyeuse, où les églises sont parées dans les grands jours comme des salles de fête, où les enchantemens de la nature parlent d’un Dieu très bon qui commande l’allégresse, où le génie le plus, pieux est toujours tenté de mettre en tempo vivace le Miserere lui-même. Et le Stabat nous rappelait ces croix des carrefours italiens dont parle Henri Heine, et qui sont couvertes de fleurs. Rossini les connaissait bien, les crucifix des routes natales, et dans sa musique aussi, il a voulu que la vie embrassât et dissimulât la mort.

Du Stabat de Pergolèse, l’Inflammatus seul a cette crânerie. Le reste est d’une piété beaucoup plus austère. L’introduction, avec

  1. Mme la baronne de Caters, née Lablache.