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exécutée et peut-être exécutable, impliquent une idée religieuse. Le théâtre Wagner est une église, et quand, sur le balcon, avant la représentation, les trompettes sonnent, il semble que les lévites d’un art nouveau appellent les fidèles à la prière ; on attend presque des cloches. Parsifal s’entend comme l’office ; les femmes pleurent comme au sermon, et des hommes même après le spectacle ont affirmé qu’ils se sentaient meilleurs et pardonnaient à leurs ennemis ! Il y a là, et en tout ce qui touche Wagner, le plus charlatan des grands artistes, selon la définition complète de M. Cherbuliez, beaucoup d’affectation et un grain de folie. A Bayreuth seulement on joue Parsifal ; un jour peut-être on n’y jouera plus autre chose ; il s’y vendra des médailles et s’y fera des miracles.

Autant que religieux, Parsifal est philosophique, et l’exégèse wagnérienne peut à propos de lui se donner carrière. Cependant, sans faire de métaphysique allemande, il faut admirer, avant la grandeur musicale, ou avec elle, car les deux se confondent, la grandeur morale de l’œuvre. Deux vertus, deux ailes de l’âme, la soutiennent : la pureté et la pitié. Par la pitié surtout, Parsifal nous touche, par la pitié « la plus jeune des vertus, plante délicate qui ne fleurit qu’au soleil d’une civilisation avancée[1]. » Enfans d’un siècle douloureux, après avoir trop longtemps pleuré sur nous-mêmes, nous commençons à pleurer sur les autres, et des larmes moins stériles. Dans ces dernières années, un grand courant de sympathie et de charité a traversé les âmes. Il est venu du Nord : d’Angleterre, et surtout de Russie. Des hommes comme Tolstoï ou Dostoïewsky ont exalté, glorifié la souffrance. Ils l’ont proclamée belle et sainte par elle-même ; ils en ont fondé la religion dont ils se sont faits les prêtres, ils ont plié leurs genoux, et les nôtres, devant l’infortune de l’humanité. La suprématie du simple et du souffrant, dogme fondamental de la littérature russe contemporaine, ne se retrouve-t-elle pas dans Parsifal, cette histoire d’un malheureux sauvé par un innocent ? Aussi bien, pour rencontrer de semblables doctrines, Wagner n’avait pas besoin de passer la frontière. Déjà son compatriote Schopenhauer, que tout le monde cite et que personne ne lit, avait fait de la pitié la base du monde moral ; il en fit, lui, la base du monde esthétique. On aperçoit d’ici le champ ouvert par un tel rapprochement à la psychologie dans l’art, telle que l’entendent ou croient l’entendre nos voisins. Pour eux, quel horizon à charger de nuages ! Ils n’y ont pas manqué. Qu’il nous suffise, à nous, sans forcer aucune analogie, de signaler la très réelle importance de la compassion chez les personnages de Wagner :

  1. M. G. Valbert.