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promît le secret le plus absolu. Uhlfeld, qui eut probablement peine à le laisser arriver au bout de son discours sans sourire, lui répondit qu’il ne se chargerait pas d’une telle commission, parce que, s’il s’agissait d’une convention d’une nature quelconque à conclure avec le roi de Prusse, la reine était décidée d’avance à ne pas s’en laisser parler. Sur les instances du ministre, cependant, il consentit à consulter la reine au moins sur le point de savoir si elle voudrait s’engager au secret qui lui était demandé. Mais dans la journée, Robinson apprit que son prétendu secret était connu à peu près de tout le monde, à telles enseignes que le ministre de Saxe, le comte Saul, était parti précipitamment, chargé par Marie-Thérèse d’avertir le roi de Pologne de ce qui se passait à l’armée, au cas très peu probable où il n’en aurait pas été déjà directement informé. Robinson crut devoir alors prendre sur lui de renoncer à une réserve qui ne trompait plus personne, et de communiquer le texte même de l’acte dont il demandait la ratification. Les conditions qui y étaient portées étant précisément celles que Marie-Thérèse avait rejetées trois semaines auparavant avec indignation, il n’y avait nulle chance que cette confidence modifiât son impression ; aussi le soir, quand l’ambassadeur se présenta timidement à la cour, la reine passa devant lui sans faire semblant de le voir et sans lui adresser la parole[1].

La conduite de Frédéric débutant ainsi, dans l’exécution d’un traité qui n’existait encore qu’en projet, par la violation à peu près formelle d’un des articles, était et reste encore inexplicable. Avait-il pensé qu’en prenant Marie-Thérèse par surprise, pour la mettre en présence d’un fait accompli et du désir pacifique très prononcé des populations, il la ferait capituler sans condition ? En ce cas, son mécompte fut complet, car il ne réussit qu’à mettre sa rivale à l’aise, en lui faisant beau jeu pour déclarer tout haut et à tout venant qu’il n’y avait nulle sécurité à traiter avec un homme qui ne pouvait pas même un seul jour se résigner à tenir sa parole. — « Je puis faire la paix, je le sais, dit-elle quelques jours après à l’ambassadeur de Venise, Erizzo, en le prenant à part à Schoenbrunn au milieu d’une fête, mais je ne le veux pas, et je n’entendrai jamais raison là-dessus. Le roi de Prusse ne veut que m’endormir pour m’attaquer de nouveau, à l’improviste, au moment où j’y songerai le moins. » — Elle était si animée qu’elle sembla oublier qu’elle parlait à un observateur qui tenait note et devait rendre compte de tout ce qu’il entendait ; car, Erizzo lui, ayant demandé si elle était sûre de tous

  1. Robinson à Harrington, 1er et 4 septembre 1745. (Correspondance de Vienne. Record Office.)