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ses alliés ; — « Il y a la Saxe, dit-elle, qui n’est jamais ni une amie sûre ni une ennemie bien déclarée. Je sais bien que, pour la contenter, il aurait fallu que, si le grand-duc est empereur, la reine de Pologne pût être impératrice, et s’il ne tenait qu’à moi je céderais volontiers ma part ; mais il faut prendre ses alliés avec leurs défauts, et leurs engagemens sont tels que je les tiens. Quant au roi de Sardaigne, j’en suis sûre aussi, il connaît son intérêt ; s’il m’abandonnait, on le lui ferait ensuite payer trop cher. »

Dans ces dispositions, la réponse à envoyer au prince de Lorraine ne pouvait être douteuse : il eut ordre de ne tenir aucun compte de la demande de suspension d’armes qui lui était faite et d’en venir aux mains avec l’armée prussienne le plus tôt qu’il pourrait. « Vous m’avez, lui fit dire la reine, envoyé l’annonce d’une victoire il y a deux ans, le jour que j’ai été couronnée à Prague ; j’espère bien en recevoir une pareille pour le couronnement qui se prépare. » Après quoi, elle dut se mettre en route pour Francfort, et, le ministre anglais n’étant pas invité à la suivre, la négociation tomba pour le moment d’elle-même[1].

Mais si elle se taisait à Vienne avec Robinson, elle avait soin de parler ailleurs et à d’autres. Ce n’était pas seulement, en effet, un avis et un engagement de se mettre en garde qu’elle faisait parvenir au roi de Pologne : c’était une ouverture d’une tout autre et bien plus grave nature. Effectivement, le comte Saul était à peine arrivé à Dresde et n’avait pas plus tôt remis ses dépêches au comte de Brühl que celui-ci faisait prier le ministre de France, le marquis de Vaulgrenant, de passer chez lui sans délai. L’invitation devait sembler singulière, car, depuis la dernière altercation que j’ai racontée, Vaulgrenant avait à peu près rompu tout rapport officiel avec le ministre saxon, et, retiré chez lui, n’attendait plus que ses lettres de rappel. Aussi, quelle dut être sa surprise lorsque, à son entrée, Brühl lui tendit un papier en l’engageant à en prendre connaissance. C’était la copie de la convention signée à Hanovre entre les rois de Prusse et d’Angleterre. La lecture finie : « Voilà, dit Brühl, ce dont nous vous prévenions depuis six mois et ce que vous n’avez jamais voulu croire. » Puis il lui fit clairement entendre que, si le roi de France était disposé à payer son perfide allié dans sa monnaie, en s’accommodant de son côté aux dépens du parjure avec

  1. Robinson à Harrington, 4 septembre 1745. (Correspondance de Vienne. Record Office. — Correspondance d’Erizzo, ambassadeur de Venise, 4 septembre 1744.) — L’appréciation ironique des dispositions de la reine de Pologne ne se trouve pas, je l’avoue, dans la dépêche d’Erizzo ; je l’ai empruntée à une dépêche antérieure de Robinson (25 août, parce qu’elle m’a paru donner une idée plus complète des sentimens de l’impératrice.