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firent route vers le détroit de la Sonde. Le commerce anglais ne soupçonnait pas encore le danger qu’il courait; les plus riches cargaisons traversaient les mers de l’Inde sans escorte. La campagne de Linois commençait sous les plus heureux auspices ; plusieurs navires marchands furent capturés dès le premier jour. La Comtesse-de-Sutherland, entre autres, vaisseau de 1,400 tonneaux, était une prise à ne pas échanger contre un galion.

Les Anglais possédaient alors à Bencoulen, sur la côte occidentale de l’île de Sumatra, un comptoir où le trafic du poivre leur procurait d’immenses profits. La brusque apparition de l’escadre française à l’entrée de la baie surprit une foule de navires marchands et de chalands à l’ancre. Quelques-uns se réfugièrent dans une baie voisine ; la Sémillante les y suivit et expédia ses embarcations à terre sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Roussin. La destruction devint ainsi complète. Huit gros navires, trois magasins remplis d’épices, de riz, d’opium, furent incendiés; un trois-mâts et deux bricks richement chargés reçurent un équipage de prise et allèrent rejoindre la Comtesse-de-Sutherland à l’Ile-de-France. Le dommage causé à l’ennemi en cette occasion est évalué, par les documens les plus sérieux, à 12 ou 15 millions de francs. La rade de Bencoulen était défendue par une batterie : le feu de cet ouvrage n’arrêta pas un instant la division française ; la Sémillante seule eut deux hommes tués par un boulet.

Après un début de si bon augure, on pouvait tout espérer d’une croisière qui devançait très probablement les nouvelles d’Europe. Le moment où la flotte de Chine allait quitter Canton approchait. Quel désastre pour la cité de Londres si cet opulent convoi venait à tomber en nos mains ! La perte d’une bataille aurait fait fléchir moins sûrement les fonds publics. Le 10 décembre 1803, l’amiral Linois mouillait sur la rade de Batavia. Il y débarque ses troupes, s’approvisionne de six mois de vivres, et, accompagné d’un brick de guerre hollandais, l’Aventurier, franchit le détroit de Gaspar. Posté à l’entrée du détroit de Singapour, il y attendra le passage de la flotte partie de Canton. Les allures des flottes de la compagnie des Indes, commandées par le régime des moussons, étaient si régulières, si bien connues à Batavia, que l’amiral Linois ne pouvait mettre en doute le succès de son embuscade. Le 31 janvier 1804, en effet, le Commodore Nathaniel Dance, officier de la compagnie, appareillait de Canton pour l’Europe avec seize vaisseaux jaugeant en moyenne de 1,300 à 1,500 tonneaux, navires à deux batteries présentant à distance toute l’apparence de vaisseaux de guerre. La batterie haute, la seule qui fût armée, portait de 20 à 26 canons du calibre de 18, et 10 caronades du même calibre; l’équipage le plus faible comptait au moins 140 hommes, lascars et Chinois, il est vrai.