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dans l’île de Madagascar, offrait de précieuses ressources pour des ravitaillemens indispensables : privés de vivres frais, les équipages n’auraient pas tardé à être atteins du scorbut. Linois, sur le Marengo, accompagné de l’Atalante et de la Sémillante, laisse s’écouler les derniers mois de la mousson du sud-ouest, se portant, du sud de Madagascar au nord du canal de Mozambique, du canal vers l’île de Ceylan. Dans ces divers parages, il fait d’importantes captures. Vers la fin du mois d’août, il donne hardiment dans le golfe du Bengale, passe devant Madras à vingt lieues environ de distance, visite la rade de Mazulipatnam, la rade de Coringo, remonte la côte de Golconde et arrive enfin le 18 septembre, à dix heures du matin, en vue de Vizigapatnam.

Les Anglais n’attendaient pas les Français ou, du moins, ils ne les attendaient pas sitôt. Un vaisseau de 50 canons, le Centurion, vaisseau du dernier rang, legs de la vieille marine, portant dans sa première batterie 22 canons du calibre de 24, dans la seconde 26 caronades de 32, était mouillé sur rade. Un navire de la compagnie, la Princesse-Charlotte, un autre navire marchand de moindre valeur, le Barnabé, achevaient d’embarquer leur chargement, sous la protection du vaisseau de sa majesté britannique. La Princesse-Charlotte était un navire de 610 tonneaux, armé de 24 canons longs de 12, monté par 71 hommes d’équipage. Le Barnabé n’avait ni le même armement ni la même importance : son jaugeage ne dépassait pas 400 tonneaux.

La sécurité était si complète que le commandant du Centurion, le capitaine James Lind, appelé à remplacer le capitaine John Sprat Rainier, dangereusement malade, se trouvait en ce moment à terre. La division de l’amiral Linois s’est approchée sous les couleurs anglaises : quand elle arrive à portée de canon, elle arbore le pavillon français. Le commandant du Centurion, le lieutenant James-Robert Phillips, investi de toute la responsabilité du commandement par l’absence inopportune de son chef, fait couper le câble, — les câbles-chaînes étaient encore un luxe assez rare, — et borde ses huniers. Dans son mouvement d’abattée vers la terre, le Centurion présente le travers à l’Atalante, — cette frégate marchait en tête, — et lui envoie sa volée à moins de 200 mètres. L’Atalante riposte; la Sémillante rallie et prend part à l’action. Pour la seconde fois, son équipage voit le feu. Le Marengo, plus lourd, est resté une demi-lieue environ en arrière. Les deux frégates serrent le vent, virent de bord et se portent à la rencontre de leur amiral. Pendant ce temps, le Barnabé allait s’échouer sur des récifs qui devaient en avoir bientôt raison; le Centurion continuait sa route vers la terre; la Princesse-Charlotte attendait, impassible, l’issue d’un combat dont il n’était que trop évident qu’elle deviendrait le prix.