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qu’il occupait et où il ne pouvait manquer d’intercepter tous les bâtimens qui me suivaient. Je désirais d’ailleurs que, dans le cas où un engagement sérieux serait inévitable, cet engagement eût lieu sur un point où je serais plus au vent de l’Ile-de-France. Je n’étais pas encore à ma nouvelle route qu’un autre bâtiment rejoignit la frégate qui virait sur moi. Au jour, je reconnus que ce bâtiment était un brick. Il n’avait mis ni cacatois ni bonnettes, probablement pour ne pas dépasser la frégate… Le vent, jusqu’alors très mou, fraîchit un peu ; notre avantage de marche sur l’ennemi devint assez sensible. La chasse se termina dans la nuit du 20. Le 21 au jour, je ne vis plus rien. Le vent me favorisait. J’en profitai pour donner quelque repos à mon équipage exténué par les pluies continuelles et par le branle-bas permanent depuis mon départ. Le soir, je mis en panne, n’ayant pu apercevoir la terre, dont je m’estimais à huit lieues dans la direction du sud. Le temps était extrêmement mauvais, quoiqu’il ventât peu. Je fis servir à quatre heures du matin et, au jour, je me trouvais à cinq lieues du morne Brabant. Je m’en approchai à deux lieues et demie et je fis des signaux de reconnaissance à la côte. J’allais doubler le morne et me diriger sur le Port-Napoléon[1], quand j’aperçus deux grands navires et un brick louvoyant de l’autre côté et semblant vouloir me chasser. Des embarcations à rames étaient à la mer ; des caboteurs manœuvraient pour se réfugier dans les criques au sud de l’île. Les nuages amassés sur les vigies me laissèrent voir, dans un instant d’éclaircie, le pavillon rouge qui annonçait la présence de l’ennemi. Je crus donc ne pas devoir doubler le morne et je continuai de louvoyer pour conserver sur les bâtimens aperçus l’avantage du vent. Je voulais attendre, pour prendre un parti, une plus parfaite connaissance des signaux. Je manœuvrai donc de façon à me mettre en mesure d’atteindre une des passes du Port-Impérial[2], au cas où je serais obligé d’y entrer. Le mauvais temps continua sur les montagnes, les signaux ne se découvrirent point, et je continuai à gagner dans le vent. Enfin, vers minuit, je distinguai les fusées qui annonçaient la présence de l’ennemi. Au petit jour, je me trouvai à une lieue et demie du Grand-Port. Les batteries arborèrent le pavillon rouge. Cette persistance dans les mêmes signaux ne me laissa plus de doute sur l’état de la côte. Je reçus un pilote du port, et je mouillai à neuf heures du soir. Le pavillon rouge resta sur les vigies jusqu’à cinq heures du soir. J’appris alors que, des bâtimens que j’avais vus sous le morne, deux étaient la frégate et le brick

  1. Le Port-Napoléon était le nouveau nom donné par le nouveau régime au Port-Louis.
  2. L’ancien Grand-Port.