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officiers américains. Que fût-il advenu si l’événement eût mis en présence sur une rade neutre des haines invétérées? On peut dire que, cette fois, suivant une expression dont on a trop souvent abusé, les canons seraient partis tout seuls. On ne saura jamais à quel point l’ordre et la discipline sont nécessaires à bord d’un navire. Nous en avons toute notre vie si bien senti la nécessité que nous transportons involontairement les idées que nous tenons de notre éducation maritime dans le domaine de la politique. Il nous est difficile de concevoir une société qui « navigue à la part. » Autoritaire! Du quartier-maître au commandant et à l’amiral, tout marin nécessairement le sera un peu.

« Les deux bâtimens, continue le commandant Motard, étaient sous la même voiture, c’est-à-dire tout dehors, excepté la grand’voile et la brigantine. L’ennemi était à peu près par notre travers de tribord et au plus à petite portée de pistolet[1]. Le feu continua à cette distance jusqu’à huit heures quelques minutes. Nous répondions aux hurrahs! de l’ennemi par les cris de : Vive l’empereur! Cependant, m’apercevant du dommage que nous causait la mitraille des caronades de notre adversaire, je résolus de m’écarter d’une centaine de toises, pour diminuer l’effet de cette arme dont la Sémillante n’est pas également pourvue, et je fis mettre la grand’voile. »

La Sémillante, si les souvenirs de l’amiral Roussin, tels que je les ai recueillis de sa bouche, étaient encore fidèles, laissait, par cette manœuvre, que je me garderai bien de blâmer, échapper la victoire[2]. Il y a beaucoup d’illusions dans tous les combats, dans les combats de mer bien plus encore que dans les autres. Que de ruses, que de moyens d’action on prête à un adversaire dont l’imagination n’est pas moins féconde et se met tout aussi aisément en frais ! Le commandant Motard se croit sous la volée d’une batterie de caronades laissée à Madras ; le capitaine Montagne accuse son antagoniste d’avoir déloyalement jeté à bord de la Terpsichore des matières incendiaires. Le feu a gagné un paquet de gargousses et une formidable explosion s’est produite. La 7% la 8% la 9% la 10e pièces de la batterie en restent désarmées. La flamme éclate en divers endroits. Le commandant de la frégate anglaise redoute, dans la confusion du moment, d’être enlevé à l’abordage : il voit, au contraire, tout à coup, à son grand soulagement, la frégate française s’éloigner. Ni Motard ni Montague n’ont pu voir dans le jeu de leur adversaire. C’est ainsi que généralement les choses se passent.

  1. A 100 mètres, suivant James.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er février 1886, p. 611, le combat de la Sémillante et de la Terpsichore.