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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/681

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nous initie aux transformations nombreuses subies par une seule figure, celle de l’ange; celui-ci se montre de profil, debout, le pied gauche placé sur un gradin ; retenant son manteau de la main gauche, ii montre de la droite un objet invisible dans le dessin, évidemment le petit saint Jean-Baptiste. Plus bas, esquissées à la mine d’argent, on voit des études pour le bras gauche retenant la draperie, puis pour le bras droit ; celui-ci est représenté, une fois avec la main étendue purement et simplement, l’autre fois avec la main fermée, à l’exception de l’index. C’est ce dernier mouvement que Léonard a définitivement adopté pour le tableau. Je me hâte d’ajouter que c’est la seule partie de notre dessin que l’artiste ait conservée. Dans le tableau, l’ange ne se montre plus de profil, mais de trois quarts, se retournant vers le spectateur, ce qui donne infiniment plus d’animation à la scène, car dans une pièce à quatre acteurs, dont deux enfans, un acteur vu de profil serait un acteur perdu ; le mouvement et la destination du bras gauche n’ont pas été moins profondément modifiés; au lieu de l’employer à soutenir sa tunique, l’ange s’en sert pour soutenir l’enfant divin ; puis, après avoir été primitivement debout, il met un genou à terre, et ainsi de suite. Il a fallu l’art consommé de Léonard pour masquer la trace de ses efforts, pour conserver tant de spontanéité, tant de fraîcheur, à une œuvre qui était le résultat de longues et savantes combinaisons.


IV.

Ici se place un problème qui a vivement préoccupé le monde savant dans les dernières années. Léonard est-il allé directement de Florence à Milan, ou bien, cédant aux inspirations de son humeur instable, a-t-il entrepris des pérégrinations plus ou moins longues avant de planter définitivement sa tente au milieu de la grasse Lombardie? Il y a quelque cinq ou six ans, M. Richter a présenté à ce sujet une conjecture à la fois très ingénieuse et très hardie. Frappé de la multiplicité des passages dans lesquels Léonard fait allusion aux choses de l’Orient, il en a conclu que l’artiste avait visité ces parages lointains, qu’il avait servi le Soudan d’Egypte, bien plus, qu’il avait embrassé l’islamisme. En ce qui concerne le voyage même, l’hypothèse avait pour elle une certaine vraisemblance, à première vue du moins. De nombreux artistes italiens, architectes, peintres, sculpteurs et surtout fondeurs, n’avaient-ils pas cherché fortune à la cour du sultan, du tsar ou encore du soudan d’Egypte : Michelozzo, qui était allé à Chypre, Aristotele di Fioravante, qui s’était fixé à Moscou, Gentile Bellini, qui avait passé une année à Constantinople, pour ne point parler des innombrables maîtres toscans ou