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des notes ou des croquis relatifs à l’Orient. Ajoutons que, d’après M. Richter, ce voyage en Orient aurait eu lieu, soit entre 1473 et 1477, soit entre 1481 et 1485, époques pendant lesquelles on ne possède aucun renseignement sur la vie de l’artiste.

Quelque séduisante que soit l’hypothèse de M. Richter, quelque approbation que lui aient donné des savans autorisés, je crois qu’il faut l’accueillir avec une extrême réserve. Léonard, dont l’imagination était constamment en travail, a pu se procurer de différens côtés des renseignemens sur l’Orient ; compilateur infatigable (un tiers peut-être de ses écrits se compose d’extraits d’auteurs anciens ou modernes), il aura transcrit les documens rédigés par d’autres, sans prendre la peine de prévenir le lecteur (qui n’était que lui-même, car aucun de ses manuscrits ne semble avoir été destiné à l’impression qu’il citait, non son propre témoignage, mais celui d’autrui. Ces renseignemens, il a pu les tenir d’un jeune homme de la famille Gondi, fixé à Constantinople en 1480, c’est-à-dire d’un membre de la famille florentine qui avait sous-loué une maison au père de Léonard, ou bien encore de ses amis de Milan, qui s’étaient trouvés er. relations avec l’ambassadeur du Soudan d’Egypte, de passage dans la capitale de Lombardie, en 1476. D’après l’opinion de M Piot, rapportée par M. de Geymüller, la composition des lettres adressées au diodario pourrait également s’expliquer par la mode, fréquente alors, de déguiser des questions contemporaines sous une forme allégorique, comme l’ont fait l’auteur des Lettres de Philaris et celui des Lettres du grand-turc. M. Gilbert Govi, qui connaît si bien l’œuvre écrit de Léonard, n’a pas hésité, dans une communication faite à l’Académie des Sciences dès 1881, à soutenir un système analogue : « En ce qui concerne les notes sur le Taurus, l’Arménie et l’Asie-Mineure, écrit le savant professeur, elles sont empruntées à quelque géographe ou voyageur contemporain. L’index imparfait qui accompagne ces fragmens autoriserait à croire que Léonard voulait en faire un livre qui resta inachevé. En tout état de cause, il n’est pas possible de trouver dans ces fragmens une preuve quelconque d’un voyage de Léonard en Orient, ni de sa prétendue conversion au mahométisme. Léonard aimait passionnément les études géographiques; dans ses écrits, on rencontre fréquemment des itinéraires, des indications, des descriptions de localités, des esquisses de cartes et des croquis topographiques de différentes régions ; il n’est donc pas surprenant qu’en habile narrateur, il se fût proposé d’écrire une sorte de roman sous forme de lettres, roman dont l’intrigue aurait eu pour théâtre l’Asie-Mineure, région sur laquelle les ouvrages contemporains et peut-être aussi le récit de quelque voyageur de ses amis lui auront fourni quelques élémens plus ou moins fantastiques. »