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est de communiquer aux autres leur maladie et leurs chagrins, de propager leur malheur. Les véritables églises sont des sociétés d’assurance spirituelle qui, moyennant l’acquittement d’une prime, déchargent l’individu du soin de se protéger lui-même contre tous les risques de suprême et éternel incendie. Elles le garantissent, et en le garantissant, elles le calment, et le calme, c’est la raison. Les religions individuelles, comme le méthodisme, dégagées de toute idée sacerdotale, sont toujours agitées et tragiques. Le méthodiste sincère, qui est le type le plus moderne de la conscience malheureuse, passe sa vie à se défendre contre l’ennemi. Il est peut-être assez inconséquent pour employer une partie de ses journées à gagner beaucoup d’argent, qu’il sanctifiera en versant un nombre considérable de livres sterling dans des caisses pieuse?, consacrées à la propagation de sa foi. Mais il ne sera jamais assez rassuré ni assez calme pour cultiver le calcul infinitésimal, ou pour étudier des infusoires au microscope, bien moins encore pour admirer une fresque à demi païenne du Corrège ou un paysage de Claude Lorrain, et il dira à M. Vernon Lee : « Vous vous proposez de subordonner désormais les occupations juvéniles aux études sérieuses. Il n’y a qu’une chose nécessaire, et tout ce qui aide à nous en distraire est mauvais. Ne chassez plus, mon ami, tordez le cou à votre faucon, ou reconnaissez pour votre maître le prince des ténèbres. »

Quand un homme de bien a des amitiés compromettantes et qu’il lui en coûte de les abandonner, il représente aux censeurs qui les lui reprochent que ses amis valent mieux que leur réputation, qu’on ne leur rend pas justice, M. Vernon Lee pourrait user de quelque expédient de ce genre pour s’affranchir d’une contradiction dont il est visiblement tourmenté. Il ne tiendrait qu’à lui de fermer la bouche aux prédicateurs en plein vent, à ceux qui l’accusent de nourrir dans son cœur des affections dangereuses qui sont des péchés, en leur répondant que la peinture et la musique sont des choses plus sérieuses qu’ils ne pensent, que la grande peinture est l’auxiliaire de la morale et de la religion, que la grande musique prêche. Mais il a l’esprit trop libre, il est trop artiste dans l’âme pour vouloir asservir l’art et la science du beau à une loi étrangère. Il a peu de goût pour la peinture didactique, pour la musique qui est une prédication. Il s’attache à démontrer, au contraire, que dans les âges classiques, le seul objet que se proposât l’artiste était de procurer des joies à l’imagination en rassemblant dans ses œuvres des élémens divers de plaisir, tout ce qui pouvait la charmer, l’enivrer, lui faire oublier la vie, ses misères et ses chagrins.

C’est dans une spirituelle dissertation sur l’Apollon violoniste de Raphaël qu’il a exposé et commenté cette idée si juste. Pourquoi Raphaël