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sans doute, on compte sur les miracles du patriotisme; on dit souvent, surtout quand les nuages reparaissent, que devant l’étranger il n’y aurait plus qu’une France unie d’âme et de volonté pour sa défense, que tous les dissentimens des partis s’effaceraient aussitôt, et c’est heureusement vrai. Puis, dès que le péril semble passé, on se croit tout permis : on revient à l’œuvre de dissension intérieure, de désorganisation sociale ou même militaire. On ne s’aperçoit pas que le meilleur moyen d’avoir une France unie de patriotisme, toujours disponible pour toutes les éventualités, c’est de ne pas commencer par la diviser, de ne pas épuiser dans les discordes intérieures la force morale dont elle aurait besoin dans les luttes bien autrement sérieuses qu’elle pourrait avoir à soutenir.

Les affaires de l’Europe, il faut l’avouer, restent dans un état singulier. Que se passe-t-il dans les chancelleries? Où en sont les cabinets des négociations qu’ils poursuivent pour mettre enfin un terme à l’imbroglio bulgare, pour arriver à concilier tous les intérêts, toutes les prétentions? On cherche, il faut bien le croire, et on ne paraît pas avoir trouvé jusqu’ici. Après cela, il est bien possible que, dans les préoccupations de tous ceux qui tiennent dans les mains les fils des négociations, l’incident bulgare et le traité de Berlin ne soient pas la chose la plus importante.

Aujourd’hui comme toujours, — sans parler bien entendu de l’imprévu et des incidens toujours possibles, — on s’occupe encore plus de l’Occident que de l’Orient dans toutes les combinaisons qui se nouent ou se dénouent, dans tout ce travail de diplomatie où M. de Bismarck garde un rôle aussi actif que mystérieux. Il est suffisamment admis que le chancelier d’Allemagne ne fait rien pour rien, et il est bien clair que, s’il s’est mêlé des affaires bulgares, c’est avec l’arrière-pensée d’en tirer quelque avantage, d’être encore une fois une sorte d’arbitre entre la Russie et l’Autriche, les deux puissances qui se heurtent le plus directement dans les Balkans. Le grand calculateur de Berlin s’est visiblement flatté un instant de jouer son jeu invariable, de pouvoir ressaisir l’amitié de la Russie sans trop s’aliéner l’Autriche. Y a-t-il eu réellement, comme on l’a dit jusqu’à la dernière heure, quelque projet d’entrevue entre l’empereur Alexandre III, qui est depuis quelques semaines en Danemark, dans la famille de la tsarine, et le vieil empereur Guillaume, qui, malgré son grand âge, devait se rendre à Stettin sous prétexte de manœuvres militaires? Dans tous les cas, le projet, s’il a existé, s’est évanoui. L’empereur d’Allemagne s’est bien rendu à Stettin, accompagné de l’impératrice, de son petit-fils le prince Guillaume, de M. de Moltke; il allait même, disait-on, être rejoint par M. de Bismarck. Le tsar est resté tranquillement en Danemark, faisant des excursions de famille autour de Fredericksborg; mais, si l’entrevue des deux empereurs a manqué, il y a eu, d’un