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de cette campagne ; il écrivait à Caulaincourt : « Les Mesgrigny ont le bonheur de me posséder dans leur hôtel, bonheur véritable, car je ne les mange pas. C’est une vilaine chose que la guerre, mon cher duc, et surtout quand on la fait avec 50,000 Cosaques et Haskirs. » Les officiers d’une armée rejetaient tous les excès et toutes les violences sur les troupes des autres armées, et ils refusaient d’intervenir quand ce n’étaient pas leurs propres soldats qui étaient en cause. À Moret, un général autrichien répondit au maire, qui le conjurait d’arrêter le pillage de la ville par les Cosaques : « Ils sont Russes ; je n’ai aucun droit sur eux. » À Chaumont, le grand-duc Constantin, ému par les larmes d’un malheureux jardinier dont on pillait la maison, l’accompagna jusqu’à sa rue. Il reconnut de loin l’uniforme autrichien : « Ah ! dit-il en éclatant de rire, ce sont les soldats du papa beau-père ! Je n’ai point à commander ici. »

Que de fois, au reste, c’était par ordre exprès des généraux que cités et villages étaient saccagés ! On portait à la connaissance des troupes que le pillage était autorisé pour deux heures, quatre heures, une journée entière. Les soldats, cela se conçoit, en prenaient toujours plus qu’on ne leur en accordait. Troyes, Épernay, Nogent, Sens, Soissons, Château-Thierry, plus de deux cents villes et villages furent littéralement mis à sac. « Les généraux, disent des témoins oculaires, regardaient le pillage comme une dette qu’ils acquittaient à leurs troupes. »

Tantôt les soldats se ruaient à la curée avec des élans sauvages, tantôt ils procédaient de sang-froid, calmement, méthodiquement. Parfois ils daignaient rire. Un de leurs divertissemens favoris consistait à mettre nus hommes et femmes et à les chasser à coups de fouet vers les bois, par des froids de 10 degrés. Ils ne s’amusaient pas moins lorsqu’ils faisaient courir autour d’une table, le nez pris dans des pincettes, les notables du village, le maire, le curé, le médecin, ou encore lorsque, dans la cour d’un collège, devant les élèves assemblés, ils donnaient la schlague au principal, dépouillé de tous ses vêtemens. Simples jeux que tout cela, bons à occuper les loisirs de la garnison. Mais quand, le soir d’une bataille gagnée, le lendemain d’une défaite ou même à la suite d’un mouvement quelconque, Cosaques ou Prussiens pénétraient dans une ville, dans un village, dans une ferme, dans un château, toutes les épouvantes y entraient avec eux. Ils ne cherchaient pas seulement le butin ; ils voulaient faire la ruine, le deuil, la désolation. Ils étaient gorgés de vin et d’eau-de-vie, leurs poches étaient pleines de bijoux, leurs havres-sacs bondés d’objets de toute sorte, les chariots qui suivaient leurs colonnes chargés de meubles, de bronzes, de livres, de tableaux. Ce n’était pas assez. Comme ils ne pouvaient cependant