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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/822

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tout emporter, il fallait que la destruction achevât l’œuvre du pillage. Ils brisaient les portes, les fenêtres, les glaces, arrachaient les boiseries, incendiaient les granges et les meules, brûlaient les charrues et en dispersaient les ferremens, arrachaient les arbres fruitiers et les pieds de vigne, faisaient des feux de joie avec les meubles, les rideaux, la literie, jetaient au ruisseau les fioles et les bocaux des pharmaciens, défonçaient les barriques devin et d’eau-de-vie et en inondaient les caves.

À Soissons 50 maisons furent entièrement brûlées, à Moulins 60, à Mesnil-Sellières 107, à Nogent 160, à Busancy 75, à Château-Thierry, à Vailly, à Chavignon, plus de 100, à Athies, à Mesbrecourt, à Corbény, à Clacy, toutes ! Fidèles aux leçons, de Rostopchin, les Cosaques commençaient par enlever ou par briser les pompes. La lueur des incendies éclairait des scènes atroces. Les hommes étaient frappés à coups de sabre et de baïonnette ; dépouillés nus et attachés au pied du lit, ils devaient assister aux violences exercées sur leurs femmes et leurs filles ; d’autres étaient torturés, fustigés, chauffés jusqu’à ce qu’ils révélassent le secret des cachettes. Les curés de Montlandon et de Rolampont (Haute-Marne) furent laissés morts sur place. À Bucy-le-Long, les Cosaques grillèrent les jambes d’un domestique nommé Leclerc, laissé à la garde d’un château. Celui-ci persistant à se taire, ils lui emplirent la bouche de foin et y mirent le feu. À Nogent, Hubert, marchand de drap, tiré aux quatre membres par une dizaine de Prussiens, fut quasi écartelé ; une balle bienfaisante mit fin à ses souffrances. À Provins, on jeta un enfant sur les flammes pour faire parler la mère. Ni l’enfance ni la vieillesse ne trouvaient grâce devant la cupidité et la luxure. Une femme de quatre-vingts ans portait un diamant au doigt. La bague était étroite : un coup de sabre trancha le doigt. Des septuagénaires, des filles de douze ans furent violées. Pour le seul canton de Vendeuvres, on évalue à cinq cent cinquante les personnes des deux sexes qui moururent des suites des mauvais traitemens. Parmi celles-ci, il faut citer cette Lucrèce rustique qui, ne pouvant vivre avec le souvenir des outrages qu’elle avait subis, se jeta dans la rivière.

À Château-Thierry, les Russes de Sacken commencèrent le pillage pendant la journée du 12 février ; les Prussiens d’York le continuèrent dans la nuit et pendant la matinée du lendemain. Tout fut saccagé. Comme à Moscou, les Russes commencèrent par ouvrir les prisons à la tourbe des malfaiteurs pour se faire aider dans leur œuvre infernale. Ils envahirent les maisons, les hospices, les collèges, les couvens, les églises, pillant, violant, massacrant, dévalisant toutes les boutiques, forçant les troncs et les tabernacles, volant les objets sacrés,