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dépassent gauchement le vêtement administratif. A l’époque industrielle, Roubaix sort d’une toute petite graine et grandit démesurément. Saint-Nazaire creuse son port et donne des inquiétudes à Nantes. Même dans les campagnes, par exemple au milieu des grands défrichemens de l’ouest, il se forme à chaque instant des bourgs mieux agglomérés, qui montrent, dès leur naissance, une âpreté à vivre, une soif d’agrandissement, un esprit d’intrigue des plus juvéniles. Il y a même des cantons où l’on démolit les anciennes borderies éparses dans les champs et notoirement insuffisantes, pour reconstruire autour du noyau communal. Depuis le premier chemin de fer, c’est-à-dire depuis cinquante ans tout au plus, ces naissances et ces transformations ont été si rapides qu’on a grand’peine à tenir à jour l’état civil des communes, et qu’à chaque instant un chef-lieu est détrôné par quelque ambitieux parvenu.

Je n’y vois, pour ma part, aucune raison de croire que tout va de mal en pis. En 1388, les chanoines de Normandie se plaignent déjà de la rareté des bras dans les campagnes. Au XVIe siècle, Bernard Palissy écrit : le laboureur veut faire de son fils un monsieur. On trouverait, dans les Mémoires de Saint-Simon, des lamentations analogues. Cependant, à travers tant de vicissitudes, les campagnes se sont assez gaillardement tirées d’affaire. Les hommes chercheront toujours le point fixe d’Archimède. Ils n’admettront jamais que la terre tourne et que les courans se déplacent.

C’est qu’en effet, dans les pays doués de quelque vitalité, l’existence des cités ne ressemble pas seulement à celle des plantes, qui naissent, fleurissent et se dessèchent sur place. Elles agissent à distance les unes sur les autres ; elles sont entraînées dans une espèce de gravitation qui quelquefois échappe à toutes les prévisions. Il y a ainsi des morceaux de département qui tournent le dos à leur chef-lieu et subissent l’attraction d’une ville plus favorisée. Ouvrez un instant la carte de France : le réseau compliqué des chemins, des rivières, des canaux et des voies ferrées, que vous suivez du doigt, et qui se coupent dans tous les sens, forme, autour de chaque petit centre, comme les rayons d’une étoile. Le nombre et l’importance de ces rayons déterminent assez exactement la position relative, la chaleur et la puissance de ces foyers de vie locale répandus sur tout le territoire. Les grandes villes se détachent, aux points de rencontre des lignes noires, comme les carrefours de la circulation nationale, tandis que les sous-préfectures s’enveloppent d’un plus modeste réseau. L’attraction de Paris est si forte qu’elle se fait sentir jusqu’aux extrémités du territoire. Lorsqu’on se rapproche de la capitale, cette attraction tient du