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Les diocèses, remaniés en 1801, à l’époque du concordat, coïncident à peu près partout avec les limites des départemens, bien qu’ils aient quelquefois un chef-lieu différent. Avec le temps, ce diocèse est devenu la véritable unité ecclésiastique, et l’archevêque ne conserve aujourd’hui sur ses suffragans qu’une autorité purement honorifique. L’église n’est pas suspecte de complaisance pour les nouveautés. Puisqu’elle a adopté le département, c’est qu’elle a reconnu que cette œuvre révolutionnaire avait du bon. Si l’on établit une proportion entre la circonférence d’un pays, sa population et l’étendue des circonscriptions administratives, on trouvera que le département est à peu près chez nous ce que le comté est en Angleterre. La révolution a procédé comme Guillaume le Conquérant, mais avec des moyens moins radicaux. Une division plus petite eût rendu l’administration coûteuse, tatillonne et mesquine ; une plus grande eût fait des intérêts régionaux de véritables intérêts politiques. Il est singulier que l’école historique accorde aux conquérans le droit de remanier la carte et le refuse aux législateurs.

La population n’a pas été moins prompte à contracter des habitudes nouvelles ; ou plutôt elle n’a eu qu’à reprendre les anciennes, car la plupart des départemens ayant été fabriqués d’après l’importance de leur chef-lieu, le paysan n’avait qu’à suivre, comme autrefois, le chemin de la grande ville la plus prochaine. Sans doute, on s’est parfois trompé dans le choix de cette grande ville. Les chemins de fer, les courans commerciaux ont souvent déjoué les prévisions : il y a des départemens mal bâtis. Mais ces transformations mêmes prouvent la vitalité de l’organe. Si le département avait été une simple circonscription administrative, sans afflux de sang nouveau, et, comme on dit, pareille à l’extrémité d’un corps refroidi, il n’aurait subi ni accroissement ni perte : il aurait reçu docilement, de la main d’un gouvernement tutélaire, la capitale qu’on lui donnait. Tout au contraire, les mœurs ont fait leur travail à côté des lois, tué l’arrondissement, déplacé les courans. Reims supplante Châlons, Moulins pâlit devant Montluçon, et Saint-Quentin devance d’un pas rapide la vieille forteresse de Laon. Chaque département se forme ainsi sa petite capitale, qui n’est pas toujours celle du préfet. Lorsqu’une des deux villes rivales ne peut éclipser l’autre, et que le département est tiré entre deux influences contraires, alors une fente menace de se produire ; c’est le cas entre le Havre et Rouen.

C’est ainsi que procède la vie : elle travaille incessamment à modifier les cadres dans lesquels on prétend l’emprisonner ; mais, en même temps, elle leur communique une élasticité et une résistance