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s’y faisant sur les sacs de raisin, quand la récolte est rentrée, y a contribué plus encore, en permettant au cultivateur de soustraire son produit aux intempéries et aux exactions. Le chemin de fer a, en outre, ai)porté la sécurité dans les espaces, malheureusement bien restreints, qu’il parcourt; le reste de l’Anatolie vit presque sans relâche dans la terreur des assassins et des pillards. Récemment ils venaient jusque dans les rues de Smyrne, ravageaient les boutiques et rançonnaient les marchands. Comment les relations commerciales, comment les industries qui emploient les produits agricoles prospéreraient-elles dans ces conditions?

Je ne fais aucun doute que le gouvernement central du sultan est dans les meilleures dispositions pour favoriser l’établissement des Européens dans le Levant. Voilà dix-neuf ans déjà qu’une loi a été portée en leur faveur. Jusqu’en 1868, aucun étranger ne pouvait être propriétaire en Turquie; on n’y pouvait le devenir que sous le nom d’une femme, parce que, jusque-là, toutes les femmes de la terre étaient considérées de droit comme musulmanes ; pour acquérir une propriété, il fallait que le contrat fût fait sous le couvert d’une sœur, d’une tante ou de quelque autre parente. La loi de 1868 reconnut les étrangers aptes à posséder; elle les a entièrement assimilés aux Ottomans. Les acquisitions de propriété, les donations et les testamens furent assujettis pour eux aux lois communes de l’empire. Un protocole diplomatique confirma le nouvel état de choses, définit la demeure de l’étranger domicilié, fixa les limites de l’inviolabilité du domicile, les conditions de la défense en justice et créa la publicité des audiences. Une circulaire invita tous les possesseurs d’immeubles à échanger leurs anciens titres de propriété contre des titres conformes au nouveau régime. Depuis lors, cette loi est régulièrement exécutée.

Mais elle ne suffit pas. Vous m’autorisez à acquérir un coin de votre territoire ; mais si ce coin est inaccessible, et si, de plus, c’est un coupe-gorge, à quoi me servira de l’avoir acheté et d’en être le propriétaire in partibus? C’est un lieu-commun aujourd’hui de dénoncer la corruption des faiseurs d’allaires du Levant, la vénalité des fonctionnaires, qui ne sont pas tous des mahométans sans doute, la nécessité où est le nouvel arrivant de payer toute chose, tout service privé ou public, de distribuer des pots-de-vin pour obtenir une pièce administrative ou judiciaire, présens qui croissent en raison du rang des personnages et de l’importance de l’affaire. Ces frais d’usage, non obligatoires, mais exigés, dépassent de beaucoup nos frais de justice, qui pourtant ne sont pas médiocres. Ils ont, en outre, le défaut d’être payés d’avance, comme les provisions que nous déposons chez nos avoués et nos huissiers; et de même que