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Puis s’avançait, comme la caravane féerique d’un conte arabe, une file interminable de chevaux et de chameaux, harnachés de cuir blanc et caparaçonnés de soie rouge bordée de zibeline ; ils portaient sur des bâts des coffres de camphrier et de cèdre embaumé remplis de vêtemens et de bijoux, des caisses de parfums, des corbeilles de vivres, des chaises à porteurs tendues de drap d’or, des parasols et des bannières de satin broché, des armes, des arcs et des carquois, des selles brodées et des étriers dorés, des tentes de voyage et des équipages de chasse, tout ce qu’il fallait, en un mot, pour que, dans l’autre vie, rien ne manquât au bien-être et à la majesté de l’empereur défunt.

Mais une autre musique se faisait entendre, et le nouveau fils du Ciel, héritier du défunt, apparaissait sous son dais, entouré des princes du sang, escorté par une armée d’eunuques.

Enfin venait le cercueil impérial ; quatre-vingts hommes le portaient avec peine tant il y avait d’ornemens et de tentures sur le catafalque, tant les planches de la bière, toute d’ébène, étaient épaisses et surchargées de sculptures.

D’autres cercueils suivaient, moins pesans, moins fastueux : ils renfermaient les restes des femmes ou des concubines qui s’étaient suicidées pour ne pas survivre à leur maître et pour le servir sous terre comme elles lui avaient appartenu dans ce monde. Ainsi firent, au décès de chaque souverain, celles de ses femmes qu’il avait aimées ou distinguées ; ainsi fit, il y a dix ans à peine, l’impératrice Aluteh, veuve de l’empereur Tong-che.

Le cortège se prolongeait très loin encore par les fonctionnaires de la cour, par les hauts dignitaires avec leur suite, et par tout ce qu’il y avait de grand dans l’empire.

Cependant, des courriers se rendaient dans les provinces, proclamant la mort du fils du Ciel, et toute la Chine aussitôt prenait le grand deuil. Pendant les cent premiers jours, les hommes devaient porter la barbe et les cheveux incultes, et il était interdit aux femmes de parer leur coiffure. Puis, durant toute l’année qui suivrait, les fonctionnaires ne revêtiraient plus que des robes et des fourrures blanches; pendant ces douze mois, il ne serait célébré ni mariages ni fiançailles; plus de réjouissances publiques, plus de spectacles, plus de fêtes dans les familles : le son des flûtes et des violons ne devait plus se faire entendre, même aux enterremens, et l’emploi de la couleur rouge, qui est d’un heureux augure, était banni dans tout l’empire...

Aujourd’hui, les corps des empereurs Ming reposaient sous les collines sacrées, loin de la rumeur des vivans, tout au fond de longs souterrains dont l’issue était derrière les temples. A l’autre extrémité,